Yolante et Marie
1
Ces deux dames savent s'y prendre,
Pour honorer la poésie :
Elles m'ont offert du pain tendre,
À moi-même et à mon génie.
Et puis la soupe était exquise ;
Quant au vin, il m'a rafraîchi.
La volaille : une gourmandise,
L'excellent lièvre était farci.
Nous avons dit aussi , je crois,
Des vers et je fus rassasié ;
J'ai remercié ce repas
Et cet honneur qu'on m'avait fait.
2
Laquelle me faut-il aimer,
Quand toutes deux sont si aimables ?
Encor très belle est cette mère,
Et sa fille si agréable.
Que sont touchants ces membres blancs :
Que connaissent-ils des caresses ?!
Ces yeux de génie sont charmants,
qui comprennent notre tendresse.
Mon cœur est comme un petit âne,
Que deux belles bottes de foin
Laissent pensif et puis chicanent :
Laquelle apaisera sa faim ?
3
Boissons vidées, bon déjeuner,
Les petites dames sont roses,
Arrogants se font leurs bustiers :
C'est l'ivresse, je crois, qui ose.
Épaules blanches, gorges jolies !
Mon cœur soudain tremble d'effroi.
Elles se jettent sur le lit,
Rient, s'enveloppent sous les draps.
Et elles tirent les rideaux,
Et elles ronflent à qui mieux mieux.
Me voilà seul, un peu idiot,
Debout, le lit devant mes yeux.
4
Jeunesse qui part chaque jour,
Remplace un courage sans faille :
Mes bras audacieux entourent
Maintenant de plus fines tailles.
Certaine parfois s'en offusque,
Qui pourtant bientôt s'y résout ;
La belle hésite, elle se brusque :
La flatterie en vient à bout.
Mais quand je jouis à la victoire,
Quel est ce manque qui me leste ?
Celui du meilleur dans l'histoire ?
Cette ânerie de la jeunesse ?
Heinrich Heine
(Traduction par Aubépin des Ardrets)
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Texte original :
Yolante und Marie
1
Diese Damen, sie verstehen,
Wie man Dichter ehren muß:
Gaben mir ein Mittagessen,
Mir und meinem Genius.
Ach! die Suppe war vortrefflich,
Und der Wein hat mich erquickt,
Das Geflügel, das war göttlich,
Und der Hase war gespickt.
Sprachen, glaub ich, von der Dichtkunst,
Und ich wurde endlich satt;
Und ich dankte für die Ehre,
Die man mir erwiesen hat.
2
In welche soll ich mich verlieben,
Da beide liebenswürdig sind?
Ein schönes Weib ist noch die Mutter,
Die Tochter ist ein schönes Kind.
Die weißen, unerfahrnen Glieder,
Sie sind so rührend anzusehn!
Doch reizend sind geniale Augen,
Die unsre Zärtlichkeit verstehn.
Es gleicht mein Herz dem grauen Freunde,
Der zwischen zwei Gebündel Heu
Nachsinnlich grübelt, welch' von beiden
Das allerbeste Futter sei.
3
Die Flaschen sind leer, das Frühstück ist gut,
Die Dämchen sind rosig erhitzet;
Sie lüften das Mieder mit Übermut,
Ich glaube, sie sind bespitzet.
Die Schulter wie weiß, die Brüstchen wie nett!
Mein Herz erbebet vor Schrecken.
Nun werfen sie lachend sich aufs Bett,
Und hüllen sich ein mit den Decken.
Sie ziehen nun gar die Gardinen vor,
Und schnarchen am End' um die Wette.
Da steh ich im Zimmer ein einsamer Tor,
Betrachte verlegen das Bette.
4
Jugend, die mir täglich schwindet,
Wird durch raschen Mut ersetzt,
Und mein kühnrer Arm umwindet
Noch viel schlankre Hüften jetzt.
Tat auch manche sehr erschrocken,
Hat sie doch sich bald gefügt;
Holder Zorn, verschämtes Stocken
Wird von Schmeichelei besiegt.
Doch, wenn ich den Sieg genieße,
Fehlt das Beste mir dabei.
Ist es die verschwundne, süße,
Blöde Jugendeselei?
Écrit par AdA
Mais avant de goûter
La chaleur de la chair Je veux être hébété D'esprit tranchant et clair Catégorie : Traduction
Publié le 18/11/2021
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Quelle performance vous nous offrez ! Je vous en remercie car sans cela je n'aurais jamais eu accès à ce poème absolument délicieux. Bravo au traducteur ! |
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Iloamys |
Vous rendez si bien le ton de légèreté un peu désinvolte que devait affectionner Heine si j'en crois mon souvenir... Je suis impressionné que vous traduisiez de l'allemand, et de la poésie, qui est le must pour maîtriser une langue : subtilité infinie du poème que rien n'égale... Et puisque Hölderlin est important pour moi, je l'ai lu traduit par Jaccottet, André du Bouchet, Michel Deguy, et l'admirable Gustave Roud qui conseilla Jaccottet : Suisse, ce dernier connaissait le domaine germanique et le parlait... Donc c'est impressionnant de vous lire traduisant de si belle façon, qui ré-inventez comme fit Du Bouchet du poème "Im lieblischer Blau..." de Hölderlin, qui me fait entendre un poème dans ma langue qui est celle où je l'aime, comme si écrit par son traducteur. Bravo Aubépin ! |
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jacou |
Bjr .. BRAVO ! Et pour la Traduction, et pour nous faire découvrir cette Merveille .. Ah ! les Gentes Dames qui font tourner la Tête d'un Homme !!! :):) Encore Bravo et Merci pour le Partage !! LyS .. |
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Lys-Clea |
@Iloamys : merci pour ce passage. Beaucoup d'humilité dans la traduction, mais, et je crois que c'est l'essentiel, beaucoup de plaisir également à traduire ;-) Je suis très heureux d'avoir "trouvé" le vers "Mon cœur est comme un petit âne" : je le trouve à la fois mignon et rigolo ;-) @jacou : merci d'avoir saisi la légèreté et la désinvolture si caractéristique d'une partie des poèmes de Heine. J'ai traduit ce petit texte hier matin, après avoir écouté une émission qui vous intéressera peut-être : "Le risque de traduire" avec Jean Tardieu, Armand Monjo, Elsa Triolet, Pierre Seghers et Andrée Appercelle, sur France Culture (il suffit de copier sur Internet et vous trouverez). @Lys-Clea : "faire découvrir quelque merveille" : voilà bien là l'une des plus belles récompenses qui soit pour une traduction ;-) |
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AdA |