Aveugle

Je sais compter sur mes dix doigts.
Je suis un vrai fou, sans vrai roi.
J'use de mon pouvoir tactile,
A saisir cette vie qui file.

Comme caresse sur visage,
L'horizon ouvre ses nuages ;
Dévoilant son regard solaire,
Sur mon habit noir de misère.

Je sais compter sur mes dix doigts.
Un cartésien sans croix de bois,
Je ne tiens la main d'aucun dieu.
La lumière quitte mes yeux.

Captif de mon imaginaire,
Poète sans aucun bréviaire ;
Une plume pour canne blanche,
Je déambule sans souffrance.

Je sais compter sur mes dix doigts,
Comme mes doigts comptent sur moi ;
Pour éviter une poignée
Vulgaire et sans aucun doigté.

Extra-lucide, je devine,
Toute parole clandestine.
Quand langue ment, le cœur se tait,
Le sourire devient si laid.

A quoi bon, faire une grimace ;
Si le pile vaut votre face.
Je suis aveugle, de mes yeux.
Seul mon esprit m'ouvre les cieux.

Ne plus compter sur mes dix doigts,
Est le plus audacieux des choix.
Pour quitter le monde apparent,
La mer m'appelle de ses vents.

Son chant de sirène sauvage,
Convie le matelot au large.
Vagues d'orgueil, houle de doutes.
Je fais chemin, sans voir la route.

Mer d'imaginaires présences,
Ecume de bruyants silences,
Bienveillantes paroles creuses ;
Je vois vos pensées belliqueuses.

Déferler en vagues moqueuses ;
Se dandiner vos âmes pieuses.
Vous exhibant, face aux yeux clos,
Pour vous sentir, plus grands, plus beaux.

Sans voir, je quitte vos rivages,
Quand vous implorez les nuages ;
Pour ne pas devenir l'infirme,
L'aveugle qui écrit ces rimes.

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