Je suis au bord du vide et me prend le vertige
La montagne est sincère avec son visiteur
Nul ne peut, impavide, avoir et le prestige
Et l'expérience amère et monter en vainqueur
J'ai, au long de ma vie, visité des vestiges
Je suis archéologue et l'Histoire sidère
Des hommes les envies, vibrantes sur leurs tiges
Sont comme un décalogue, un meurtre de fleurs fières
Ayant sondé le Temps, j'ai pleuré les nations
Coutumes défuntes, chocs des civilisés
Un seul dieu est manquant, ville en démolition
D'abord la guerre est feinte, et le suicide osé
Maintenant je parcours le domaine spatial
La montagne est si belle, à contre-jour, si verte
La forêt suit son cours sur la pente locale
En bas, parfois, se voit, une clairière ouverte
Ici, j'oublie l'humain et son chagrin moteur
Son histoire est limpide et conduit aux grands meurtres
Aux premiers siècles, maints peuples sont amateurs
Au vingtième, un grand vide, en massacres qui heurtent
Que l'air est pur là-haut, se respire un bon air
La cage thoracique aspire à pleins poumons
Dans ma poche un cadeau : recueil de Baudelaire
Je lirai ce classique, au sommet de ce mont
Qui a déclamé ces vers sur la haute cime
Ne peut plus redescendre ainsi qu'un enfant sage
Il oublie les monstres, il oublie Oscwiecim*
Clôt l'esprit à la cendre et s'ouvre au paysage
(*nom polonais d'Auschwitz, l'un des camps de la mort nazis)
Dédié au poète Paul Celan
Écrit par jacou
L'art alchimique me tue, me transmute, me sublime. J'en renais plus fort, poétiquement. À suivre.
Catégorie : Nature
Publié le 28/09/2020
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Un hymne à la poésie...malgré tout, certaines images fortes me rappellent le tableau de friedrich caspar : "Le voyageur contemplant une mer de nuages". | |
Banniange |
Un break en altitude avec Baudelaire, histoire de se sortir un peu du monde des hommes, pour plonger au fond du monde tout court, ça ne se refuse pas. L'élévation est ici réelle et spirituelle, la sagesse attend le courageux de son cadeau: une sublime gomme pour effacer un temps les tourments de l'humain. | |
eliosir |
Partir dans la montagne, atteindre le sommet pour prendre de l'altitude et s'éloigner d'un monde qui sans cesse s'agite et grouille vainement, trouver le silence que seules les hauteurs peuvent nous offrir, voilà qui serait un vrai bienfait! Le problème, c'est qu'à un moment, il faut redescendre et se replonger dans ce monde duquel on aimerait s'éloigner quelques temps... Je t'ai suivi dans cette échappée... et ma foi j'y serais bien restée! Merci beaucoup pour cette évasion bienfaisante, cet instant de lâcher-prise. Avec ma vive amitié à toi :) |
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Matriochka |
Superbe escapade en montagne, où le poète qui souffre peut s'isoler et se recueillir, s'enivrer d'air pur et profiter du paysage | |
Vermeil |
Banniange, merci à toi : je suis redevable à Friedrich, le peintre que tu évoques, de vues sublimes et romantiques sur les montagnes, peintre découvert à la même époque que mes randonnées d'adolescent dans ces parages là. Elles, ces vues, ont donné parfum d'irréel et donc de mythe, à ces grands monstres naturels que sont ces hauts monts, et fournis à mon vertige le paravent du sublime que Burke avait bien théorisé, sublime angoisse qui est avant tout métaphysique en nous, une approche de la mort toujours possible à tout moment et qui nous saisit dans des instants de confrontation avec ce qui nous dépasse absolument. | |
jacou |
Eliosir, merci beaucoup, tu lis comme en une boule de cristal en moi, que le tourment humain, plus supportable en hauteur où respirer, n'en est pas moins une habitation du monde selon les romantiques, ce tourment si vaste et qui pèse et accompagne l'esprit en proie au doute existentiel, puisque vivre est parfois un paradoxe, quand on y prend garde, par exemple au bord du vide, tentant serait de se laisser glisser suggère le vertige attirant... | |
jacou |
Matriochka, je te remercie : Paul Celan a tenté de rencontrer Martin Heidegger en montagne, et, si la rencontre eut bien lieu, il n'y eut pas de dialogue vrai entre le poète et le philosophe. Juif d'origine roumaine, né à Cernauti (actuelle Tchernovtsy en Ukraine), Français parlant couramment allemand, Celan aurait voulu que Heidegger, philosophe allemand qui adhéra brièvement au parti nazi et dirigea momentanément une université sous le règne de Hitler, université qui chassa des professeurs juifs, que cet Heidegger là émit un mot de regret pour ces engagements passés, mais rien ne se produisit, ce fut une rencontre décevante... Voici pourquoi la dédicace à Paul Celan, qui s'est suicidé à Paris, du haut d'un pont... "Sous les ponts de Paris coule la Seine / Et mes amours, faut-il qu'il m'en souvienne..." (Apollinaire) Avec ma grande amitié pour toi :) |
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jacou |
Vermeil, un merci reconnaissant à vous, car vous parlez de la souffrance, ce qui est le cœur du poème, pourquoi l'on fuit "n'importe où, hors du monde" (Baudelaire) des contemporains, pourtant "nos frères, nos semblables" qui seuls, eux, peuvent nous sauver ! | |
jacou |
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