C'est par un clair matin que j'ai franchi le seuil
Je me souviens d'un ciel dégagé de nuages
Et combien nous étions nombreux dans notre deuil
C'étaient des jours affreux marqués par des outrages.
Il y avait eu la mer, ses troublants rivages
Des esclaves miniers avaient rompu leurs chaînes
Les dieux s'étaient fanés ils paraissaient sans âge
Nous nous agenouillions en tremblant sous les chênes.
C'était un temps nouveau pour nous une fin d'ère
Le dur commencement d'éons furieux à vivre
Une comète était passée dans un désert
Où la foule avait tué quelques moines trop ivres.
Cachés sous les boisseaux nous avons vu les choses
S'avancer vers tous ceux qui ne couraient pas vite
Dévorant les hommes pour leurs métamorphoses
Les chefs nous ont quittés car le danger s'évite.
Je rassemble ici même assis dans la tourmente
Les témoignages brefs qu'un monstre querelleur
Nous permet d'entrevoir, s'ils sont vrais ou s'ils mentent
Qu'importe aux jugements nous mourrons tout à l'heure.
L'époque avait duré qu'on avait dite belle
Les océans étaient nos dernières limites
Nous possédions la Terre où nul n'était rebelle
Sous nos lois et le joug s'édifiait un grand mythe.
Romains et Grecs vaincus de trop de démesure
L'esprit et les corps nus forgés pour les batailles
Laissant la femme muette appeler la morsure
Du poison qu'un cadavre émet dans les broussailles.
Les rois et présidents se sont succédés lors
Qu'ils conquéraient la terre où nos blés mûrissaient
Mais comme un couchant qui descend noie le décor
Ils étaient remplacés aussitôt que hissés.
Les années brèves de ces règnes sont fanées
Toute œuvre humaine a beau inscrire sa période
Renaissance et Moyen Âge ont été damnés
Recouverts d'industries et de dieux à la mode.
Les sols ruisselants noirs déjà nous ensorcellent
J'ai donc franchi le seuil d'où l'on ne revient pas
Je sais les royaumes fiers des aïeux, ficelles
Par lesquelles on les enchaîna, purs appas.
Tout va finir ici au fond d'une tranchée
L'Europe est épuisée d'avoir vaincu le monde
Ma compagnie est, sous le feu, de corps jonchée
La Mort baptisant l'un puis l'autre en sa rouge onde.
(Note pour la compréhension : ce texte se présente à dessein comme un récit d'épouvante favorisée par le titre, mais, à partir de la 6ème strophe, révèle qu'il est un récit réel effectué par un jeune historien à l'esprit commotionné sous les obus dans la bataille de la Somme, durant la Première Guerre mondiale.)
Écrit par jacou
L'art alchimique me tue, me transmute, me sublime. J'en renais plus fort, poétiquement. À suivre.
Catégorie : Histoire
Publié le 06/03/2019
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«Les chefs nous ont quitté car le danger s'évite» : vous avez vraiment le sens de la formule. Quant à l'interprétation du texte, l'impression est confuse, je trouve : cet historien comprend-il, alors qu'il y est physiquement confronté, ce que signifie la violence qui permit à une poignée de pays de «posséder la terre où nul n'était rebelle» ; se désole-t-il de la fin d'une ère ; tire-t-il de l'«onde rouge» la conclusion "organique" que les sociétés humaines, comme tout organisme, naissent, vivent et meurent ; ou pense-t-il qu'a trop vouloir dominer et soumettre les sociétés courent à leur perte ? Quelle belle et sûre écriture ! Merci ;-) |
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AdA |
Le commentaire précédent est de moi.Je l'ai écrit en me croyant connecté au site. Excuses. Le monde de la forme est celui de la dualité.Tout est polarisé. Pas d'amour sans haine ni de mort sans naissance.Seule la vie est éternelle. Le comprendre apaise nos souffrances. |
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JOUVI |
Merci AdA pour votre commentaire argumenté. Si je présente mon personnage, sous-officier éduqué à la tête d'une escouade, c'est précisément parce que c'est un intellectuel nanti de connaissances à même de prendre un soupçon de recul par rapport aux événements qu'il subit, ainsi que le fît le réel historien Marc Bloch lors de la défaite française de 1940. Ensuite, j'ai tenté, puisque je le présente comme un jeune historien, de penser à ce que pouvait être l'horizon d'attente d'un jeune Français né un peu avant 1900, pendant ce qu'on appelé la Belle Époque, où l'Europe dominait le monde entier avec ses empires coloniaux, ses industries, ses investissements économiques, ses armées partout victorieuses de toutes les révoltes contre son ordre injuste. Alors oui, je me suis servi de mes lectures pour restituer son état d'esprit. Deux sont essentielles. Hannah Arendt, dans son "Origine du Totalitarisme" montre la filiation qui a existé entre la domination mondiale des colonies exercée par l'Europe sous la forme du colonialisme, l'idéologie du racisme que des scientifiques et des philosophes (Gobineau) ont propagée pour accréditer le colonialisme, et la construction des systèmes totalitaires qui se sont installés en Europe dans les années 1920 et ultérieures. Pour résumer facilement, disons que l'invention des camps de concentration par les Britanniques lors de la Guerre des Boers vers 1900, en Afrique du Sud pour y enfermer les civils afrikaners (paysans boers), mixée avec le premier génocide planifié du peuple Herero (20 000 morts, toute une population) par les Allemands en Namibie voisine quasiment au même moment, ces deux faits coloniaux auront ouvert la porte pour l'importation en Europe même du racisme biologique permettant la Shoah et les crimes de masse contre les populations russes (plus de 10 000 000 de morts), crimes du régime allemand hitlérien. Autre lecture utile : le "Déclin de l'Occident" d'Oswald Spengler, ouvrage pessimiste dont le titre résume le contenu. Publié vers 1920, ce livre déclare fini le destin européen conquérant, aventureux, mais soumis à la loi des cycles vitaux présidant à la vie et à la mort de tout organisme, la civilisation étant vue par Spengler comme un corps biologiquement corruptible. Cet ouvrage a nourri tous les jeunes intellectuels né vers 1920, Julien Gracq en a été influencé pour écrire son beau roman "Le Rivage des Syrtes", Dino Buzzati de même pour écrire "Le Désert des Tartares", voilà ce que j'appelle un horizon d'attente pour un destin, chez un penseur. Donc, retour à mon jeune sous-off frotté d'Histoire : il parle d'abord de la guerre qu'il vit comme une monstruosité (première partie du texte), puis il retrace brièvement le destin du monde soumis par l'Europe, enfin il se prépare à la mort dans une tranchée ainsi que tout organisme vital. Vertige de la distanciation certes, mais rien n'interdit de penser consciemment à la mort et à sa propre mort. Pour terminer, concernant le "nul rebelle", j'ai puisé du côté de mon père Mohammed, né kabyle dans l'Algérie coloniale soumise à la République française, donc n'ayant nul droit d'homme et certainement pas de citoyen français. Les Kabyles, comme tous les peuples qui furent soumis, se sont révoltés de nombreuses fois, notamment en 1870 : ils furent défaits et leurs terres en grande partie confisquées. Idem à Madagascar en 1947, à Sétif le 8 mai 1945, pour la révolte du Mahdi au Soudan, etc etc... Je suis bavard, très, mais j'aime écrire aussi. |
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jacou |
Triste constat ! le monde avancerait-il doucement mais surement vers sa décadence ? Tout semble le faire deviner mais peu osent le reconnaitre . Si "L’Europe est épuisée d’avoir vaincu le monde" que dire de l'Afrique et du reste du monde déjà en partie détruit. Bravo Georges pour ce superbe poème en te remerciant de noter à plusieurs niveaux la désolation du décor avec sa composante humaine et animale quand cette Histoire dont les tornades guerrières en semblent vraiment insensibles ! |
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Yuba |
Jouvi, je vous remercie de votre message qui est leçon de sagesse, dont je tire un enseignement précieux : tout est dialectique dans la nature, la vie se nourrissant de la mort, la mort de la vie, en un cycle éternellement recommencé. | |
jacou |
Assia, merci pour ton commentaire : j'ai essayé de brosser un rapide tableau de "l'œuvre" européenne, et combien la dimension prométhéenne de cette noble aventure, pour ne pas dire la démesure scientifique et faustienne des esprits d'Europe, ont abouti dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. Jouer avec le feu est dangereux. Le romancier Thomas Mann a bien analysé tout cela dans ses romans ("Docteur Faustus", "La Montagne magique"). | |
jacou |
Je ne suis pas déçu d'avoir commenté votre texte : les précisions que vous apportez sont éclairantes à bien des égards, je vous en remercie. Plus qu'à l'incontournable Marc Bloch, c'est à la conscience aiguë de l'anthropologue Robert Hertz (tué pendant la Première Guerre mondiale) que le texte m'avait fait pensé. Je colle ci-dessous, pour apporter de l'eau à votre moulin sur certains de vos développements, l'article premier du Code noir de 1665 rédigé par le "bon" Colbert : "Article 1er Voulons que l'édit du feu Roi de Glorieuse Mémoire, notre très honoré seigneur et père, du 23 avril 1615, soit exécuté dans nos îles; ce faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser de nosdites îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d'en sortir dans trois mois à compter du jour de la publication des présentes, à peine de confiscation de corps et de biens." Article inattendu, mais qui résume assez bien l'une des filiations évoquée plus haut et pointée par Arendt. Le livre "Au coeur des ténèbres", de Conrad, est, je crois, la première lecture qui m'avait, de manière saisissante ("paquets d'angles aigus"), fait prendre conscience de cette filiation: "Près du même arbre deux autres paquets d'angles aigus étaient assis, leurs jambes remontées. L'un, le menton appuyé sur les genoux, regardait dans le vide, d'une façon horrible, intolérable. Son frère spectral appuyait son front comme s'il fût accablé d'une grande lassitude. Et tout alentour d'autres étaient éparpillés dans toutes les poses et les contorsions de leur prostration, comme dans un tableau de peste ou de massacre." Quant à la Kabylie, les soulèvements et révoltes, mais aussi les répressions, continuent de marquer son histoire... Je suis bavard aussi, j'en suis désolé. |
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AdA |
Je vous remercie Ada pour votre réponse et pour le complément des informations que vous m'offrez. Je suis désolé également de vous avoir infligé une longue lecture, mais quand un sujet me passionne, je peux être extrêmement loquace, porté par un enthousiasme chevillé au corps. Je suis friand de nouvelles connaissances, donc je vais m'intéresser aux écrits de Robert Hertz, que je ne connaissais pas. L'affreux code de Colbert témoigne de la construction administrative du racisme et de l'antisémitisme, version moderne de l'antijudaïsme chrétien de longue mémoire, et sera amplifié à l'époque napoléonienne par le rétablissement de l'esclavage, abrogé par les révolutionnaires français, et un décret d'apartheid interdisant aux personnes noires de résider à proximité de Paris afin d'éviter des mésalliances "funestes" et le métissage (vengeance pour la révolte de Saint-Domingue/Haïti). "Au cœur des ténèbres" est essentiel pour comprendre en approchant d'un peu plus près, ce que put être l'époque coloniale. Il me semble que vous citez le passage où le narrateur relate qu'il a vu un lieu planté de crânes humains, illustrant la folie toute puissante et dérisoire de Kurz... Conrad était polonais de naissance, apatride car sa nation avait été rayée de la carte par les empires russes, autrichiens et prussiens. Arendt mentionne aussi dans son ouvrage les apatrides, une catégorie humaine dont la fragilité était grande à l'époque où la construction de nations était révérée. Concernant la Kabylie, je n'oublie pas, bien entendu, les événements de 1988 ou de 2001. Ouf, j'ai réussi à être un peu moins long cette fois-ci, moins précis peut-être aussi ! |
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jacou |
Georges je te mets une autre version de la guerre des mondes La guerre des mondes ! Dans le froid cosmique, d’un univers sans fin D’étranges entités, convoitent avec ardeur Les richesses de la Terre, ces séraphins Ont de sombres desseins et l’esprit maraudeur. Dans les profondeurs d’un labour, surgit l’engin Un monstre de métal, aux très grands tentacules De ses trois pieds, il parcourt la contrée, enfin Il s’arrête sans bruit, en haut d’un monticule. Et soudain, un son strident, affole les gens Ils courent, fuient, en tout sens, un rayon ardent De feu, extermine de ses tirs convergents Les humains qui meurent du laser foudroyant. Sur tous les continents, la peste est apparue Rouge comme le sang, tuant les végétaux Les peuples massacrés, malgré les disparus Des hommes et des femmes résistent en héros. La guerre des mondes ! Un combat pour la vie Je vous dis, avant que la Terre ne périsse Prenez peur, ô visiteurs, pour votre survie Méfiez-vous de nos bactéries destructrices ! |
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CRO-MAGNON |
Merci beaucoup Olivier pour ce cadeau que tu m'offres ! Tu as su condenser à merveille cet excellent roman qui n'a pas pris une ride, tant il est sec dans son style et efficace dans sa conduite ! Ton poème aussi est sans la moindre graisse ! De plus, si j'ai choisi pour titre "La guerre des mondes", c'est justement parce que Herbert George Wells, socialiste et pacifiste, y dessinait une métaphore de l'invasion coloniale bien sentie pour son époque fin 19ème siècle ! |
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jacou |
où va-t-on ce désespoir dense qui m'a touché amitiés:) | |
romantique |
Un poème profond et particulièrement touchant jacou, j'ai vraiment apprécié sa musicalité même si celle-ci renvoie à de tragiques images... Une beauté obscure mais poétiquement prégnante. | |
Alphaesia |
Merci de tout cœur à vous deux, Sylvain et Olivier, ce récit poétisé n'a pas été simple à mettre en scène correctement. Le tragique est en moi plus que la joie, je dois le reconnaître : esprit gouverné par Saturne le mélancolique. | |
jacou |
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