L'aube au bout du banc de pierre est si belle à boire
Se dit-il, élevant ce calice à son œil
Qui miroite dans le jour issu de nuit noire
Ainsi cède la nue au soleil qu'elle accueille
L'aurore est d'horreur pure en lui présentant l'heure
Dans l'impasse du temps où il jeta l'amarre
Son efflorescence est pour ses sens une erreur
Quand l'odeur d'une fleur affleure en bord de mare
Ces étangs sont miasmes qui de la mort murmurent
Toute une nature en putréfaction s'envase
Dans ces fonds fantasmés où nos remords se murent
Cachant qui se renonce en tristesse à l'extase
L'arbre qui se cabre est chandelier d'ombre sombre
Sa racine est nouée et noyée par l'étang
L'eau de son onde inonde un monde qu'elle obombre
Et cette érosion lente est violente pourtant
Car l'univers sans fin dévore la matière
L'homme est poussière dans l'univers une errance
De l'argile forgé qui défigure entière
La statue de sang déraisonnant de sa science
Ainsi pense Hölderlin* assis sur le banc jaune
Et du pré verdoyant jouissent ses yeux usés
La douleur de la vie se suspend à cette aune
Il jette ses miettes d'un savoir en fusées
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*N. B. : Friedrich Hölderlin (1770-1843) est le grand poète allemand, l'égal en son temps de Goethe et de Novalis, qui en plus de sa poésie lyrique d'hymnes et d'odes, écrivit le roman politique et sentimental "Hypérion", une pièce de théâtre politique consacrée au philosophe Empédocle, et, lors de ses études au Stift universitaire de Tübingen, où il se lia d'amitié avec Friedrich Hegel, influença son jeune ami Hegel par ses idées philosophiques et politiques. La philosophie de Hegel se souvient d'Hölderlin selon moi (règne de la raison dans l'histoire et religion, dialectique de la révolution politique) car Hölderlin a beaucoup écrit et pensé à ce sujet, et c'était indéniablement un révolté, condamnant l'esprit du peuple allemand de son temps à la fin de "Hypérion", dans sa pièce trois fois réécrite faisant se jeter Empédocle dans l'Étna plutôt que d'obéir à sa communauté, consacrant un poème à Jean-Jacques Rousseau qu'il éleva comme phare de l'humanité, participant peut-être à un complot contre un prince où son ami l'ambassadeur Isaac von Sinclair trempa et fût accusé quoique protégé...
Écrit par jacou
L'art alchimique me tue, me transmute, me sublime. J'en renais plus fort, poétiquement. À suivre.
Catégorie : Amitié
Publié le 12/10/2021
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Bonsoir Jacou .. Ce Poète a eu vraiment une Vie Spéciale .. comment peut on sortir Indemne de ce qu'il a vécu .. Tes Vers nous offrent ta Forte Connaissance sur le Sujet .. :) Bravo !! Amitié, LyS .. |
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Lys-Clea |
Magnifique ! Une ivresse poétique qu'offre véritablement le choix des mots et qu'augmente par l'errance l'histoire de ce poète . Grand bravo à ta plume Georges ! |
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Yuba |
Bonjour et MERCI Georges pour cette belle lecture poétique Amitié Daniel |
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lefebvre |
Une très belle poésie, de très belle images que je lis avec plaisir ! L'aube, l'arbre, l'univers... me touchent tout particulièrement... Je crois que grâce à toi je me suis un peu assise sur ce banc avec le poète... Et pour pouvoir y retourner, je place ton poème dans mes favoris MERCI |
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Lucyline |
Digne représentant du courant littéraire du romantisme allemand, Friedrich Hölderlin en avait l'esprit particulier, que je vois comme extrêmement tourmenté et en même temps animé de la quête d'un absolu placé très haut (peut-être même inaccessible). Je trouve que tu as pleinement saisi et restitué cette atmosphère propre au romantisme dans cette évocation, par laquelle j'imagine aisément Hölderlin assis sur son banc et observant la nature autour de lui, matière à nourrir sa pensée toujours en mouvement. Et même si j'ai plus étudié Goethe au cours de mon U.V de littérature allemande en année de licence (c'était le programme), la lecture de ton poème est pour moi une re-plongée dans ce passé universitaire dont je garde essentiellement une formation de l'esprit qui est essentielle à mes yeux (alors que je reconnais avoir par ailleurs oublié beaucoup du détail des enseignements... lol!). Je crois que ta connaissance dans le domaine du romantisme allemand dépasse largement la mienne! Merci beaucoup, mon cher Georges, pour ce partage d'une excellente facture poétique. Et merci infiniment pour ton message de soutien et d'amitié après mon poème "Diagnostic", cela me va droit au coeur. Avec ma vive et forte amitié pour toi :-) |
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Matriochka |
Claire, merci à toi. Ce poète que j'aime presque d'amour a connu une belle vie avec toutes les promesses à lui destinées. Son problème fut peut-être de refuser la voie de son avenir dans la société après ses études. Vers 1790, en Souabe vers Nürtingen où il naquit et vers Tübingen où il apprit, être instruit et ne pas devenir pasteur, quand son père lui-même le fût, était une situation qui devait vous placer à l'écart du monde, et un conflit avec sa mère pouvait en découler. Il refusa le pastorat et devint précepteur, autre solution choisie également par son ami Friedrich Hegel. Mais ce n'était pas une situation stable où s'installer. Son caractère ardent était vif et emporté, il connut un amour pour une femme qui était mariée et mourut de fièvre alors qu'il était précepteur allemand à Bordeaux en 1802. Il a eu une vie compliquée, mais une vie volontaire où il choisit et renonça. Je l'aime pour cela, je trace quelquefois des parallèles peu modestes avec des choix que j'ai fais et mes renoncements (pas sur le terrain poétique lol, ici il est bien trop grand, pour moi il égale Baudelaire et encore je ne le connais que traduit...) Amitié, Georges |
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jacou |
Assia, merci ma très chère amie. Me livrer à l'errance me rend ivre, elle peut être mentale comme physique et j'adore me perdre. Alors, quand en plus, un Pétrarque en Provence en pèlerinage d'une Laure, un Dante qui ouvre sa "Comédie" ("Au milieu du chemin de ma vie, j'allai...") et aboutit à retrouver sa Béatrice, et des peintres qui me les dessinent tel ce soldat français arrêté à l'orée d'un bois, ce moine au bout des terres sur le rivage baltique, par Caspar David Friedrich, ces errances qui ont des buts inconscients comme se découvrir un peu mieux après s'être perdu de s'abandonner un peu au cours des choses. Hölderlin aimait marcher, j'aime aussi. Il se rendit à pied de sa Souabe natale en Suisse pour un poste de précepteur, et surtout en 15 jours alla prendre un autre poste à Bordeaux et traversa la France de Napoléon, à pied, puis quitta ce poste sans hésiter lorsqu'il sentit que la femme qu'il aimait quittait le monde comme lui elle son corps, lui son esprit, quittés en même temps, semble-t-il. Au retour en Allemagne, il était perçu comme fou, et avait tout perdu. La suite pour lui fut de vivre 37 années encore, entre 1808 et 1843, dans une chambre où le recueillit une famille attentionnée, les Zimmer dont le chef de famille était charpentier. Il était né en 1770, le milieu de sa vie fut pour lui de rencontrer la folie, son accomplissement dantesque où il s'enferma pour se dérober sûrement aux responsabilités lourdes parfois à endosser. J'erre où je m'oublie, mais je reviens à moi (malheureusement ?!) |
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jacou |
Daniel, grand merci à toi. J'ai plaisir à te voir et à te lire. Je pense à Anne aussi près de toi. Je crois que tu aurais pu, comme un Zimmer qui accueillit le poète devenu fou, accueillir dans ton jardin un pauvre fou pour le rassérener un instant en lui montrant la beauté à l'œuvre sans trop d'artifice, la beauté naturelle qu'on guide comme nos mots qui recueillant nos émois sont nature ouvragée par nos soins discrets, où l'artisan sait cacher savamment les rênes qu'il tient à l'ordre de certaines choses, où comme toi l'on est devenu fort et assuré de soi. Hölderlin était un enfant, c'est aussi pour ça que je l'apprécie. Amitié. |
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jacou |
Matriochka, merci, tu dis si bien "absolu" ! L'absolu des romantiques est une période de l'esprit humain, si tant est qu'il y en ait. L'absolu selon moi développe l'idée du Sublime évoquée et définie par Edmond Burke et par Kant à la fin du 18ème siècle. Des peintres à cette époque aimèrent à dessiner l'apocalypse et le gigantesque foulant les hommes comme épis de blé moissonés, des Thomas Cole et des John Martin, et Caspar David Friedrich "fixa des vertiges" sur ses toiles au bords de précipices ou devant l'infini constellé du néant du doute de son moine au bord de la mer ou de son voyageur contemplant une mer de nuages... Le romantisme repoussa les limites. Byron combat et meurt en Grèce pour libérer les Grecs de l'oppression et Hölderlin en écrivant "Hypérion" lui traçait la voie d'une Grèce à libérer en combatant, l'immensité des cieux que contemple le moine dans la toile de Friedrich est celle du "Bleu adorable" de Hölderlin qui monte jusqu'au ciel ("Aimerais-je être une comète ?... En pureté elles sont pareilles aux enfants..."). Emily Brontë évoque un amour quasiment incestueux dans "Les Hauts de Hurlevents"/"Wuthering Heights"... L'amour est partout chez eux, parce qu'il nous dépasse dans l'absolu emportement des passions et vainc la mort par le souvenir ému. La révolte est sans limites pour eux, les cieux vides ou pleins de même. J'adore cette période des arts, pour moi elle dépasse la Renaissance que j'admire, mais le romantisme fait mon effroi et j'en frissonne, où les renaissant ont des géants doux. Ma nature veut le tumulte ! La formation de l'esprit est pour moi primordiale. Autodidacte n'ayant pas fait d'études pour cause de santé (agoraphobie), j'ai dû me former tout en me protégeant de mes démons intérieurs (peur trop prononcée de la folie, sentie d'instinct comme un danger dont j'ignore la cause), et pour cela je crois aujourd'hui avoir trouvé ce qu'il me fallait en tâtonnant mais en prenant le temps, et ainsi je me suis moins trompé sans doute. Ma formation m'a guidé à nouveau vers la poésie découverte à l'adolescence, après la trentaine, et j'en vis encore mais d'un amour plus raisonné sûrement, quoique y résonnent tant de choses où je voudrais me perdre... Avec ma très vive amitié pour toi :) |
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jacou |
Lucyline, je te remercie beaucoup, ton favori fait toute ma joie maintenant. J'avais écrit un long commentaire comme j'en ai l'habitude, mais mon téléphone a déliré et aussi le site à cause de cette longueur mêmme, et je l'ai perdu tout en m'en souvenant cependant. J'y décrivais comment ce banc m'est image en souvenir d'une émission d'Arte de 2004 consacrée à Hölderlin, où l'acteur Pierre André Wilms campait le poète vieillissant se baladant et s'asseyant près de la tour abritant sa chambre où il passa plus de trente années de folie dans une famille qui lui louait les lieux, et ce film documentaire était ponctué de dessins au fusain illustrant nombre de poèmes écrits durant sa folie, notamment celui que j'estime le plus beau de tous : "En Bleu adorable fleurit, Le toit de métal du clocher..."/"Im lieblischer Blau..." très bien traduit lyriquement par André du Bouchet. Je suis passionné outre mesure par ce poète que j'adore. Je devrais apprendre à écrire plus court, mais ici je ne peux pas ! Ceci dit, ce petit incident aura résumé quand même, même si j'ai sauvé des idées pour ce com refait de neuf ici, mais j'ai tant de choses à dire sur ce poète ci, et lui-même écrivit à la fin de son poème "En Bleu adorable" ceci : "Mais j'en dirais plus une autre fois, c'est assez..." (de mémoire). MERCI Lucyline. |
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jacou |
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