Quand j'étais petite, je regardais les autres rire et chanter
Ils criaient, jouaient, s'ébattaient,
Et moi je restais là, silencieuse et secrète
Assise sur un banc, murée dans mes rêveries.

Quand j'étais enfant, je ne disais jamais
Que le jeu me plaisait, que je participerais
Au prochain tour peut-être, sûrement
Le lendemain ou bien l'année suivante.

Quand j'étais jeune fille, je ne sus pas non plus
Avouer mes faiblesses, susciter le désir,
Attendre patiemment et respectueusement
Les promesses du soir et les câlins du matin.

Maintenant que je suis femme, je ne sais toujours pas
M'ancrer dans mon sillage
Faire vibrer ma voix
Asseoir ma carcasse d'ombre aux côtés d'une lueur.

Je ne suis pas d'ici
Ce monde n'est pas pour moi
Mon corps ne me sied pas
Et je suis à l'étroit.

J'avance sans aucune boussole
Et il faut bien le dire, je ne réussis pas
Il n'est pas de fortune, mais juste des mauvais coups
Du sort sur mon sol.

Je n'attends pas demain
Je ne prie plus le ciel
Les dieux m'ont toujours fuie
Je n'espère plus rien.

Je suis un parchemin
maintes fois effacé et toujours recouvert
de nouvelles attentes désespérément vaines
je suis un parchemin rabougri et troué.

Quand je serai bien vieille,
Je rirai de cette vie, toujours inassouvie,
J'aurai choisi mon camp
Celui des endurants
Qui n'ont pas droit au miel

Depuis longtemps déjà
Depuis qu'un beau matin
Ivre de mon sommeil
J'aurai éteint la flamme
Qui scintillait encore au fond de mes prunelles

Depuis qu'un beau matin
J'aurai compris que rien
Ne viendrait raviver ou même réchauffer
Mon cœur endolori, meurtri, ensanglanté
D'y avoir trop cru au bonheur annoncé

Depuis qu'un beau matin
J'aurai compris qu'il ne suffisait que
de maintenir serrées les deux mains
conjointement sur la maigre ficelle
qui se mourait enfin de tenter de brûler.