Il me fallut que quelques jour pour prendre la mesure du bordel. En premier lieu, une grue de chantier hurlait chaque matin à la gueule de toute la ville ses alarmes, sa cascade de sons aigus dérivant d'un buzzer complètement timbré. Je me souviens de ces réveils paniques, où rendu confus par un sommeil trop court, baignant dans une haine diffuse, la machoire encore endolorie par un bruxisme nerveux, je me traînais comme un fantôme jusque sous la douche. À essayer de rincer cette couche adipeuse de malaise. En fixant le blanc taiseux de la faïence comme un mort.

Toujours hors de moi-même, vague entité de pensées corrosives, tout juste charnelle, je descendais de mon perchoir vers les tréfonds de la cage d'escalier, passais devant la porte de mon unique voisin dont je ne vis jamais le visage et m'engageais, le long de l'exécrable mur d'enceinte, vers le travail.

Après, le soir, je retournais à mes délires. Heureux, sincèrement, imbécilement heureux d'avoir de l'alcool à discrétion, noyé dans mes paradis synthétiques, mes pauvres ritournelles et mes feuillets volants. Consumant mes heures de sursis avec autant de délectation que d'égoïsme. Piégé entre la nuit, à laquelle j'appartenais et les jours qui m'érodaient jusqu'à l'os.

Cette cavalcade de jouissance morne, c'était certainement parce-que je la sentais venir. Anastasia. Je l'attendais. Je la redoutais. Fallait que je m'empresse d'exister un peu dans mon ignominie avant qu'elle me bouffe. Elle, elle avait pas cru à tous mes mensonges. Elle avait l'œil plus vif. Elle était bien trop belle aussi. Mais elle cherchait quand même un truc. Elle était A-nastasia. Peut-être l'extase, en russe. Sauf qu'elle venait de Bordeaux. Et ce truc, elle aurait bien voulu lui donner mon visage.