Mon père, lui, il avait capté.
Je sais pas, je devais être particulièrement pâle ou excessivement sage, mais quand on a été sur le point de partir de l'hospice, il m'a proposé de m'acheter un coca au distributeur.
Y'avait rien d'extraordinaire, c'est sûr, je vais pas vous raconter que je me suis roulé par terre de joie, mais y'avait le côté père-fils et tout et j'ai pris la pièce en hochant la tête.
Il est sorti en attendant et moi je suis allé me chercher le coca.
Tout le monde me regardait.
J'avais la sensation d'être le dernier espoir de cette civilisation, parce-que dans leur regard y'avait tout mélangé la tristesse de la vie et la volonté de faire bonne figure devant moi, qui, manifestement, ne pouvait pas comprendre ce qu'était la mort.
Je dis "manifestement" parce-que, franchement, tu ne vas pas te prendre un coca au distributeur d'un mouroir quand tu as un tant soit peut conscience de ce qui s'y trame.
Le pire, c'est que j'ai poussé le vice jusqu'à choisir un coca cherry.
Il doit quand même y avoir un truc qui me surveille, je sais pas, une sorte de Reine Mab dans un minuscule carrosse-insecte, parce-que la canette est restée bloquée dans la machine.
Tout le monde l'a vu et quand la dame de l'accueil s'est levée pour venir m'aider, je suis parti illico.
J'avais aucune envie que tout ce petit monde s'affaire autour de moi.
J'avais genre pas du tout envie de leur fournir un divertissement de cet ordre. C'était assez mesquin de ma part, quand on y pense.
Mais je me suis barré et quand j'ai retrouvé mon père dehors, j'avais déjà préparé mon esbroufe, parce-que la pièce, je l'avais plus.
Je comptais lui dire que j'avais bu la canette cul-sec et que j'en avais encore la gorge toute piquante.
Mais il m'a rien demandé.
On est monté dans le Scénic et on est rentré à la maison.
Y'avait plus un bruit, dans l'habitacle de la bagnole.