Sixième voyage

Poussé par les vents voyageurs, de l'automne, frémissants sous mon caftan couleur de safran, j'ai traversé les collines ou le diable a entassé les cendres de l'enfer.

J'ai découvert, suspendus à un arbre mort, une étoile qui soupirait.

En Lybie, j'ai connu un peu de repos près d'un théâtre antique:
Un amas de pierres ordonnées au milieu de la steppe. Près de ce théâtre se dressait une fontaine romaine. De cette eau thermale ont bu Aggrippine, Oreste et Oedipe. J'ai ressorti ma lampe à huile que j'ai allumée, et j'ai déchiffré une épigraphe gravée en latin: " Venez vider Vessie"

Un mois plus tard je me suis trouvée au bord du Nil, en plein Foustate. Le Foustate , la ville qui pleure des larmes de cinabre, est surprenant.
J'ai appris auprès d'un parfumeur de Khan Khalili que le musc fortifie le coeur, l'ambre fortifie le cerveau, et le bois de santal , l'âme. Respirer l'odeur du santal, ne serait-ce qu'une fois par an .
Car il y a dans le coeur de l'homme une affection maligne que seule l'odeur du santal peut dissiper.

Dans les vieilles ruelles de la villes, j'ai rencontré des veuves sans pitance , des enfants sans jeunesse et des ancêtres sans barbe.

Je me suis installé dans la cité Mihamed Ali. La cité aux murailles creuses. Je me suis déguisé en prêtre de l'hindoustan. Et j'ai crié :

" Je suis passant, passeur, passager, passéiste, patient, passionné , je suis partout ou nul part. Je change de nom à volonté. Je suis originaire de l'oasis des Affronts Oubliés, l'oasis où pousse l'arbre dont les fruits sont des coquillages!"

Mon maigre auditoire est resté silencieux comme les pièrres sèches et j'enchainais cyniquement:

" Je suis Youness le conteur , la guérisseur, l'astrologue le gécomancien , le prêtre, je suis le grand chaman détendeur de la science exacte et garant légitime de la tradition : écoutez noble assemblée , écoutez la parole ancienne :
- Le riz prolonge la vie de l'homme .
- Comment cela ? Dit le pélerin au turban de cuir bouilli.
- La médecine telle qu'elle est est pratiquée en Inde a établi des préceptes fort justes pour tout ce qui concerne la nourriture de l'homme .
Inutile de vous dire que mon histoire n'a rencontré aucun succès .J'ai dû déguerpir.
Quelle idée! Raconter l'histoire du riz dans un pays de fèves !
Alors que j'étais attablé pour la dernière fois au café Fichaoui pour dèguster une bonne tasse mazbout, une énorme clameur monta soudain d'un peu partout:

La foule: nous avons le prix Nobel...
Un homme : Najib Mahfoud...
Youness: mes voisins, des touristes apparemment anglais s'étonnèrent ; l'un deux s'est même demandé si les les Arabes écrivaient.

J'ai quitté le Caire en pleine effervescence .
D'autres déserts m'attendaient.
Mais quand donc s'arrêtera cette marche nocturne en compagnie des étoiles ? Marche sans fin, et sommeil qui tourmente les paupières.
Il me reste un fleuve à franchir, le terrible fleuve Noune:
"Fleuve ardent et vorace,
Combien de vierges as-tu englouties"

J'ai marché au long des rivages du lac asphalite.
Là où les baleines laissent de longues traces. Est-ce le testament des cétacés?se demande Younès Errawi, ou si vous préférez , Jonas le conteur.

Tayib Sadiki