Je te regarde
Et tout fléchit dans l'invisible
Un monde se retire, et sous mes cils vacille
L'éclat d'un souvenir, pur comme une blessure
Ma nièce, ou bien mon double, en robe de nature
Gorgée d'illusions, infusée de lumière
Tu croyais que la vie n'était qu'une rivière
Où l'on glisse en riant, sans rocher, sans remous
Mais déjà l'eau t'avalait par en dessous
Tu avais dix-huit ans, l'âge nu, l'heure sainte
Où la peau dit « je suis » mais l'âme cherche en crainte
Avant cela, tu fuyais d'un lieu sans horizon
À d'autres murs sans nom, sans clef, sans direction
Et pourtant, tu portais, fragile transitoire
Les âges entremêlés dans un seul territoire
Une enfant dans la voix, une femme en silence
Une adolescente éteinte, en quête d'existence
« Un petit verre ? » demande l'époque en chantant
« Ça ne coûte rien », disent-ils, en souriant
Mais moi, je lis dans l'ombre où ton regard bascule
La faille immense ouverte en toi, calme capsule
Tu es tombée, sans heurt, sans cri, sans apparat
Dans l'étreinte insidieuse qu'on nomme le combat
Entre l'âge des jeux et l'âge des silences
Entre l'appel du large et la lourde balance
On chantait, souviens-toi, ces poèmes d'enfance
Écrits sur des cahiers pleins de demi-souffrances
Mais devenus adultes, les vers s'éteignent bas
Le poème ne brûle plus, il survit, las
Et pourtant... Nous écrivons. Par besoin, par absence
Pour nommer l'invisible, pour rompre la sentence
Nous sommes faits d'un cercle, immense et récurrent
Où la mort est le centre et l'oubli, le courant
La mort n'épargne rien. Elle cueille, elle rature
Même l'illusion fond dans sa lèvre future
Tout fuit, sauf peut-être un mirage en sursis
Comme ces ivresses où l'on s'anéantit
Et toi, pure lumière en allée sous le vent
Tu demeures ici, dans mes mots survivants
Tu fus chute et flamme, blessure et oraison
Et tu vis désormais dans cette ascension.
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