Mon père avait une vraie moustache de père
qui surmontait des dents jaunies par le tabac
et la coupe en brosse de l'ancien militaire
de sa haute taille il me prenait dans ses bras.

En rentrant du travail ses clefs derrière la porte
tintaient comme les cloches, mettaient mon coeur en fête
je me précipitais vers lui pour qu'il me porte
respirais l'odeur du vent de sa mobylette.

Il avait les joues froides et un ou deux crachats
s'accrochaient à son visage comme une chique
cela me repoussait pour la plus grande joie
d'une mère méprisant son homme hémiplégique.

En vieillissant ce père est devenu aigri
le tabac et l'alcool avaient tracé leur voie
dans son corps cancéreux, Oh ! combien amaigri
la maladie lui ôtant le rire et la voix.

Il était devenu un homme chuchotant
et sa colère immense ressortait par ses yeux
qui explosaient de rage, sa bouche se pinçant
sur d'horribles douleurs d'un vécu malheureux.

Mon père me faisait peur, je ne savais que dire
bloquée, je passais pour une idiote accomplie
aller le voir m'était une souffrance, un cri
muette comme lui, je parlais de la pluie.

Maintenant je vieillis et je sais qu'il m'aimait
qu'il offrait à mon fils son tout premier vélo
heureux de le voir jouer dans le jardin l'été
courir dedans les herbes, mouillé par le jet d'eau.

Et je sais maintenant tout au fond de mon coeur
que même si ma mère nous avait séparés
je l'aimais ce père là, du profond de ma peur
il me manque encore depuis qu'il s'en est allé.