Les Invisibles
La Montespan, la Pompadour,
La Maintenon, la Du Barry :
Quand je regarde les amours
Qui agitaient le Tout-Paris,
Je regrette de n'être roi,
De n'avoir pas en pointillé
Au cou ce joli mod' d'emploi
Qui fait les beaux guillotinés.
Tous ces volants et ces yeux doux,
Ces antichambr's et ces boudoirs,
Ces lèvres roses, ce rouge aux joues,
Ces billets doux, ces longs couloirs :
Comment les rois pur'nt gouverner
Et faire croire qu'ils travaillaient
Quand dans les jup's ils séjournaient
Pendant que d'autr's se les caillaient ?
Alors je pense au pôv' Jacquot
Sur sa galère pour la gabelle,
Aux 10 000 morts pour le château
De Versailles avec sa chapelle,
À ces mill-i-ons d'anonymes
Que la douceur des bas de soie,
Le marbre frais d'Ancien Régime
Ignorèrent autant chauds que froids.
On crie au crachat que le pauvre
Postillonn' par ses dents pourries
Sur la ch'mise arrachée des fauves
Qui s'moquent qu'il soit ou non nourri,
Mais on la ferme sur les gifles
Que les nantis, élégamment,
Distribuent à ceux qui reniflent
Parce qu'ils souffrent bruyamment.
Voilà pourquoi, dans les archives,
Je m'intéress' plus aux esclaves
Qu'à ces escapades lascives
Des souverains dans leurs enclaves :
Je veux redonner aux fantômes,
Si nombreux qui peuplent l'histoire,
La vie qui manque tant aux tomes
Narrant la Cour sans les trottoirs.
Je ne veux pas qu'on nous endorme
Dans quelque lit à baldaquin
Cependant qu'une vache encorne
Une fermière au sort coquin ;
Je veux qu'enfin les projecteurs,
À l'inverse des rois-soleils,
Illuminent les vrais acteurs
Afin, peut-être, qu'ils se réveillent.
Aubépin des Ardrets
Écrit par AdA
Mais avant de goûter
La chaleur de la chair Je veux être hébété D'esprit tranchant et clair Catégorie : Social
Publié le 01/03/2019
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Comme vous avez raison ! Les récits d'historiens sur l'histoire populaire commencent à paraître, calqués sur le travail d'un Howard Zinn aux États-Unis, cette histoire du peuple par le peuple et pour le peuple a notamment un versant sur l'histoire des femmes (Michelle Perrot). Souhaitons remonter à ces Versailles et autres folies qui tant coûtèrent en vies manantes que l'histoire passe sous silence ... Votre poème est très beau, j'adore les V des rimes de la 5ème strophe et puis l'ensemble fait du bien à lire en ces temps monarchiques revenus, et pour la qualité lyrique il va sans dire. |
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jacou |
Mais oui, et votre poème est également une manière de mettre le petit peuple sous les projecteurs. J'apprécie la musicalité de votre texte. Merci |
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isabelle64 |
C'est un si bel hommage à ceux qui font le pénible du boulot pour bâtir les siècles des constructions dorées , élever leurs monuments et qui restent à jamais dans les coulisses . Je n'ose même pas imaginer leur nombre à travers l'Histoire et ne sais d'ailleurs si des statistiques ont été établies en leur honneur ... Il me touche vraiment ce poème...merci AdA ! |
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Yuba |
@jacou Oui, l'histoire est toujours un parti pris - et un miroir -, non pas au sens d'un préjugé, mais eu égard à l'objet ou à la période de son étude et, surtout, aux sources et à la manière dont celles-ci sont interrogées. @isabelle64 Les choses n'étant jamais figées, j'ignore, à vrai dire, s'il existe des "petits" et des "grands" ; je suis, en revanche, intimement persuadé qu'il existe une relation organique entre le grandissement de certains et le rapetissement d'autres. Je vous remercie pour la remarque sur la musicalité du texte : j'y suis sensible. @Yuba Oui, "élever des monuments" qu'il ne faut jamais oublier d'interroger en "creux", en "négatif", pour également y trouver la vie des "oubliés", dont la vie ne vaut pourtant pas moins, ni plus, que ceux qui prennent la lumière. Merci, pour cette lecture ;-) |
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AdA |