Dans l'âpre Voïvodie où agonise Lödz,*
La bise ravine les coteaux engourdis,
Des voix suffoquent sous l'aiguillon de la pluie ;
Au vieux cimetière, des prières ricochent
Contre l'obélisque où se meurt une chandelle.
Dans un profond silence défilent les stèles
Tels des dominos dressés pour un jeu funèbre
Qui bientôt se couchent quand le ciel s'enténèbre.
Mais qui vient témoigner,
Quelle bouche d'ombre profére des blasphèmes ?
« Ces pierres mortes furent chairs vivantes,
Savourant les figues parfumées de soleil,
Ecoutant les ruches bourdonnantes de miel.
Ces pierres mortes furent chairs vibrantes,
Qui aimèrent sous le chapiteau lunaire,
Qui enfantèrent dans le rire des étoiles.
Ces pierres mortes furent pain de vie ».
Mais l'homme ne vit pas que de pain !
Qui donc vient témoigner,
Quelle bouche d'ombre suscite des fantômes ?
« Bien, Ezechiel, dans la sombre vallée,
Tu as vu ces ossements desséchés
Et leurs espérances détruites.
Tu as prophétisé, les vents ont soufflé,
Les nerfs et les peaux se sont reformés.
Viendras-tu aussi dans le feu céleste
Réveiller ces cadavres,
Tous ces corps déchiquetés
Par les mâchoires de la haine » ?
Mais ceux qui sont dans la chair
Ne peuvent pas plaire à Dieu !
Qui témoignera alors,
Quelle bouche d'ombre vomira l'innommable ?
« Pauvres noms gravés sur le marbre ,
Ils ne sont que ce qu'ils sont :
Phonèmes arbitraires, calcinés
Dans la fournaise de l'infâme Baal
Emil et Henry Uhlmann, enfants de Sion
Fausse engeance de Shylock et de Suss** ;
Oui ! Bien sûr !
Schwerin von Krosingk*** Noble prussien, ministre de Mammon,****
Il fallait des devises, remplir le tonneau des Danaïdes
De sang frais et de larmes chaudes...
Alors, à Munster, où vos ancêtres anabaptistes
Instaurèrent « La nouvelle Jérusalem »,
Vous les avez dépouillés
De leur biens, de leurs maisons,
Vous les avez chassés
Comme des rats vagabonds,
Vous les avez traqués
Comme d'affreux morpions,
Vous les avez battus, torturés, violés, épuisés
Assassinés...
Oui ! Bien sûr, Hermann Goering, Reichsmarschall,
Président de la confrérie des bouchers nécrophages,
Il fallait vendre les bijoux juifs
Dans de bonnes conditions...
Alors le juste dit : « Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?
Mon Dieu, le jour j'appelle, la nuit est sans réponse »..
.
Dans l'âpre Voïvodie où agonise Lödz
Les bruissements de la nuit, doucement, s'approchent.
Une étoile s'est éteinte, qui s'en soucie ?
Les sépulcres se lamentent, qui donc supplie?
Roulant sur les nuages, la lune chavire
Comme l'œil fou d'un borgne que le mal inspire.
Mais au ciel, une plume blanche se balance,
C'est la larme d'un ange qui cherche clémence.
Quelques explications
*Lôdz possède le plus grand cimetière juif de Pologne. **Shylock et Sus sont des caricatures du Juif rapace et malfaisant. ***Van Krosingk fut ministre des finances au 3ème Reich. ****Mammon est le Dieu des richesses et de l'avidité.
Écrit par Banniange
Il faut habiter le monde comme un poète
Catégorie : Histoire
Publié le 03/06/2019
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quelle densité scripturale angoissante j'ai aimé:) | |
romantique |
"Deus absconditus" : ton titre signifie "le dieu caché". Où est-il caché dans les temps des grands mouroirs d'humains ? Je n'ai pas de réponse, si ce n'est que ton poème est une intervention qui crie cette absence, et nous rappelle ce qu'est notre histoire récente, dont nous ne pouvons pas nous vanter. J'ai choisi un autre angle d'approche pour évoquer un autre massacre récent, c'est le jour de la mémoire, quand les fleurs et les pierres tremblent d'exister à nos côtés. N.B. : pourrais-tu s'il te plaît libeller ton titre en français, afin que tous puissent le comprendre, quitte à mettre deux titres ? Merci Banniange pour ton talent que tu donnes en partage, généreusement. |
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jacou |
Merci à vous romantique et jacou! j'avais gardé le titre en latin par référence à Pascal et son fameux pari... | |
Banniange |