Ne jamais tourner le dos à la machine, si ça se passe mal… Ne jamais tourner le dos, si ça
dérape… Les copeaux qui pleuvent, les copeaux d'acier, les copeaux de polissage… Ils le polissent
pour faire disparaître les aspérités. Ils enlèvent les scories. Puis la plaque devient de la ferraille, et on
la refond. Et on la refond encore. Elle a une forme donnée, puis elle en a une autre, puis une autre
encore. Puis elle fond jusqu'à n'être plus rien, rien qu'une soupe incandescente. Une soupe noire et
incandescente. Qu'est-ce que j'ai fait comme erreur ? Ça coûte cher. Ils portent un homme gravement
brûlé à travers l'usine, qui a fait l'erreur ? C'était moi ? C'était moi ? La mort dans les doigts… Mais
ce n'est pas moi qui suis là, c'est quelqu'un d'autre. Quelqu'un qui petit à petit me chasse de mon
propre corps, quelqu'un qui s'empare de ma vie. Qui dilapide mon argent, qui le fait file comme du
sable entre les doigts, je n'ai plus les moyens. Quelqu'un qui mange ma nourriture et qui encrasse mes
poumons à force de fumer et qui prend toute la place dans mon lit et m'empêche de dormir. Je n'arrive
pas à dormir. J'arrive à peine à me tenir éveillée dans la journée. J'ai fait une erreur. Un homme est
gravement brûlé. Le visage noir. Comme mes doigts, noirs. Il faut que je dorme, il ne faut pas que mes
mains tremblent ; c'est de ma faute. Ne jamais tourner le dos à la machine, un malheur peut arriver…
et alors je me retrouverais dehors… sans salaire, sans travail, sans domicile, une âme sans feu ni lieu…
zéro… Il faut que je reste concentrée, que je conserve mon aspect, il ne faut pas que je m'écoule, que
je me dissolve – que je perde une goutte de moi-même là où il ne faut pas…
Elle baisse les bras, un couteau tombe sur le sol. On voit maintenant le sang couler de ses poignets.
Elle s'affaisse sur une chaise. Rolf remarque le sang, mais reste sur l'expectative.
… ma tête est si dure, comme celle d'un insecte… je vais découper ma tête… La découper…
Découper les yeux… Découper la bouche… Je vais découper ma bouche pour en faire un sourire…
Vous allez voir… Je vais découper mon cerveau, découper toutes mes pensées comme si je ne
nettoyais une plaie, du pus jaune d'un abcès… vider mon cerveau de tout ce liquide croupissant… Puis
je laisserai sécher les bords à l'air libre… Puis je m'en irai avec ce trou qui me passe à travers… Puis
les remarques me passeront à travers… Puis tout me passera à travers…
Magnus Dahlström (auteur)
Magnus Dahlström est né en 1963 à Stockholm. Depuis 1987, il a publié trois romans, un recueil de
nouvelles et une dizaine de pièces de théâtre. Son premier roman, Feu ! a été unanimement salué par la
critique et par les écrivains de la jeune génération en Suède (Stig Larson en particulier). Avec ce livre,
Dahlström s'est imposé comme la principale révélation du nouveau paysage littéraire scandinave.
Il a notamment reçu le prix littéraire du quotidien Aftonbladet (1987) et le prix du roman de la radio
suédoise (1997).
Plusieurs de ses oeuvres ont été traduites en anglais et en allemand. L'Épreuve du feu a été créée en
1989 au Stadsteater de Göteborg et en 2002 au Théâtre National de Bretagne dans une mise en scène
de Stanislas Nordey. Ce texte a également fait l'objet d'une lecture publique au Festival La Mousson
d'été à l'occasion de sa parution en français (2002, Édition Les Solitaires Intempestifs).
L'Usine a été créée en 1997 au Théâtre Orion de Stockholm.
Écrit par solene
lepetitchatestmort.skyblog.com, allez y svp c'est sur gregory lemarchal
Catégorie : Triste
Publié le 08/07/2007
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merci marieange, j'ai pris beacoup de plaisir à l'apprendre (je fais du théâtre) | |
solene |