Je suis la femme sénile qui tricote pour ne pas rien faire. A attendre le temps, le temps qui ne vient pas, ce temps qui ne reviendra pas de toutes manières ; je le sais mais j'attends. C'est la coutume, les mœurs, il faut vivre – Pourquoi ? Parce qu'il faut vivre, c'est tout. La liberté n'existe pas, disposer de sa vie, et pourquoi pas de sa mort en un ultime effort. Et fort de ma peine, je m'en irai errant dans la tourmente des remonte-pentes aux cent mille dangers, au fil d'une vie de tire-fesses rouillé, usé, fatigué de tirer des culs trop lourds, des chevilles gonflées d'orgueil et de merde, des têtes trop grosses, des épaules trop larges ou des miroirs trop noirs, au revoir. Je voudrais dire au revoir, au revoir dans le vent partir sans dire au revoir à personne, partir sans un regard, sans une larme, avec pour seule besace mes espoirs, ma confiance en l'avenir, ma bonne humeur, un monde bonheur. Je partirais de bonne heure pour ne rien perdre de cette journée ensoleillée. Le long des routes bitumées, dans les fossés assèchés, j'avancerais, admirant coquelicots, écoutant les oiseaux, me disant que c'est beau, tout est beau, l'air est frais. Passerait un énorme poids lourd couchant coquelicots, effrayant les oiseaux, remplaçant l'air frais par une odeur malsaine, par la civilisation, la pollution quoi. Ainsi va la vie dirait l'ivrogne de mon quartier, ainsi va la vie. Mais qu'est-ce que la vie dis-je alors. Mais qu'est-ce que la vie, crie-t-il tout fort. Qu'est-ce que la vie, qu'est-ce sans l'oubli, sans loup gris pour nous faire peur la nuit. Une nuit de frayeur, une nuit si noire que je ferme les yeux pour mieux y voir, pour mieux courir, danser, chanter ou murmurer des incantations, dessiner des signes sans signification apparente et pourtant…Toi le loup aux orbites vides, toi qui me voit mieux que quiconque, toi tu les comprends, tu me comprends sans m'écouter, sans m'étudier tel un cobaye. Ton cœur sont tes sens, que te faudrait-il de plus, ami ? Toujours plus, toujours plus, jusqu'à trop, mais qu'est-ce que trop ? Trop c'est trop, c'est plus qu'il n'en faut, c'en est trop…