Voir Venise et mourir. *
Quand déjà le malheur s'abat et fait sa danse sur le flot,
que la pupille gustative perd le sens de la vie
dans un brouillard de lagune,
par-delà l'horizon visible dont l'une des muses se passe,
allant au plus loin sans tracer de perspectives
dans la profondeur,
sans fonder un sol sinon sur la seule clé n'ayant pas de pêne,
musique et peinture cisaillent et isolent.
Et pourtant la tristesse s'éternise dans la couleur,
non pas d'une voix qui serait trop vouloir encore
trouver la voie de la vie,
mais d'une touche à la Turner
qui prend un tourbillon et le noie
à la façon dont Proust a traduit une toile de son Elstir**,
matière et dessin, manière et destin,
vision qu'un Bergotte** perd et lèse soudainement
à la vue d'un mur obsédant,
à reverdir le lierre
- "valse et langoureux vertige"*** -,
sur lequel vient battre Vermeer
par le canal de l'oeil,
dans Delft que sa féerie irise,
d'une heure étirée éternelle pour les nerfs
(l'oeil de la fille voit sa perle logée à l'oreille
et ce portrait idéal d'une rose
arrache le vers de Malherbe :
l'art n'est plus à cela près.
La tige de rhétorique s'éteint,
mais elle a été d'un long instant
la continuité immobile du seul homme
s'étant ingénié à ce que perle une larme d'un rien,
ou de la lumière,
Dieu effacé sur l'âpre lit de la feuille après la pluie.)
L'art investit d'un vestige toute musique
que sa haute voltige éparpille sitôt diluée
la note de présent de ses ficelles.
* voir le commentaire ci-dessous
** personnages de peintre et d'écrivain dans le roman de Proust
*** extrait d'un vers de Baudelaire
Écrit par jacou
L'art alchimique me tue, me transmute, me sublime. J'en renais plus fort, poétiquement. À suivre.
Catégorie : Divers
Publié le 03/05/2014
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* Je dédie ce poème à actuaire, afin de saluer son retour parmi nous. | |
jacou |
magnifique, à grande écriture un grand jacou, toute la noblesse dans vos mots et toute la bonté se rassemblent sous votre plume magique, actuaire en sera content...merci très chers amis... | |
zeste |
Merci mon très cher ami zeste pour ton estimation sensible. | |
jacou |
Merci cher jacou pour l'un de ces poèmes libres, grandioses et mystérieux, dont vous avez le secret, emplis de références littéraires et d'images magnifiques. Vous décrivez admirablement cette superbe tristesse dont l'art est parfois vecteur. Je trouve particulièrement beau les passages "pupille gustative", "Matière et dessin, manière et destin", "investit d'un vestige", et "se féerie irise". Bien à vous. |
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Florent |
je me souviens d'un devoir de Philo dont le sujet était : l'art c'est l'homme je n'avais pas été brillant.pas plus que je n'ai pu comprendre ce texte. Sans doute destiné aux "intellos" du site. je pense que la poésie trouve sa raison d'être dans le "dépouillement" l'"épuration" des mots et phrases qui la rende plus accessible à tous. mais bon je ne veux pas gâcher le plaisir de ceux qui ont compris.bonne continuation. | |
Abdel |
Merci cher Florent d'apprécier ce poème dans ses détails et dans sa globalité. Je vous rejoins sur le thème de l'art parfois devenu déception, à la fin d'une vie surtout. Bien à vous. |
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jacou |
Merci Abdel pour ton avis éclairé. Je crois pour ma part que la poésie gagne aussi à se complexifier, à rechercher l'expression inédite, sans tomber dans le travers de l'hermétisme. Pourtant, je partage ton avis sur le fait que la poésie dans sa pureté est avant tout dépouillement, et mon poète préféré, Philippe Jaccottet (d'où mon pseudo), est un maître en la matière. Mais il existe aussi tout un courant poétique actuel, qui a débuté sur les traces de Mallarmé et de Rimbaud, et qui est représenté par des poètes comme feus Jacques Dupin ou André du Bouchet, pour ne pas parler de René Char, pour lequel l'exploration des limites expressives de la poésie est un travail exaltant. Il faut de tout pour faire un monde, et tous les goûts sont dans la nature sur le site ; aussi pourquoi l'"intello" parmi lesquels tu me classes ne pourrait-il pas prétendre écrire de la poésie ? Où tu marques un point, c'est que je n'ai pas réussi à me faire comprendre de toi, notamment, bien que je veille à diffuser le maximum de lyrisme dans mes écrits. Peut-être à l'avenir faudra-t-il que j'élague une inspiration fougueuse ? Je vais y réfléchir, car tes conseils me sont toujours précieux. Bonne continuation à toi aussi, dont j'attends toujours avec impatience le poème du jour nouveau. |
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jacou |
ne changes rien à ton style ami poète...je ne suis pas une référence poétique. Et , ce n'est parce que je n'ai pas compris un texte qu'il est mauvais. Mon com , n'est ni une critique objective , ni un dénigrement . Tout au plus un avis. | |
Abdel |
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