J'écrivais une lettre à ma fiancée lointaine,
Ma main fébrile effleurait la feuille incertaine
Des mots déposés en flots, bouteille à la mer
Où je croyais mettre les mots les moins amers.
Les idées sont rudes ne se voulant décrire,
Et le désir plus dur de ne pas même écrire,
Lorsque à se connaître on n'aide pas l'écriture,
Quand déjà s'annoncent les abandons futurs.
J'avais auprès de moi une liqueur légère,
Pourtant à peine m'étais-je abreuvé d'un verre
- C'est un remède pour l'oubli de soi d'une heure -
Des mots résonnaient dans ma tête : - sot rêveur !
J'étais rivé à mon bureau par une chaîne ;
L'âtre crépitait dans la cheminée au chêne
Derrière mon dos, livrant la chaleur d'un four ;
Ma chaîne n'était pas entrave mais amour.
Je sentais ma vigueur inentamée de nerfs
Et mon cerveau songeur ne voguait pas en l'air.
D'un alcool si peu bu j'attendais le tonnerre :
Une goutte, un éclair, l'inspiration légère...
La grêle tige de mon stylo voltigeur
Dansa, et je vis l'ironie des mots vengeurs
Sous mes yeux ; j'entendis sonner dans la stupeur
Les mêmes mots à ma fenêtre : - sot rêveur !
J'étais seul, seul me révélant ma ferveur vaine,
Renversant moqueur le flux précieux de mes veines.
Non, ce n'était pas moi ! La boisson à mes lèvres
Saoulées, me rendant ivre me rendrait un havre !
Conviant mes souvenirs, j'affronterais vainqueur
L'instant qui voulait dénier l'amour à mon coeur !
Mes sens s'embrumaient ; quand les braises crépitèrent
Je frissonnais au bruit et frissonnais à l'air :
Une brise parvenait, malgré la chaleur,
De la vitre entrouverte depuis un quart d'heure,
Et dans ce court souffle de froidure railleur
Le vent sifflait à tout mon être : - sot rêveur !
J'étais si amoureux de ces longues semaines,
Longs mois, longues années... Lente errance où tu mènes ?
Ah ! Boire ! Ce litre balayait tous mes livres !
Douteur, homme névrosé, l'alcool te délivre !
Fin saoul, plus fort, je me sondais en déserteur.
"Espérant te revoir, je suis un sot rêveur" :
C'était griffé là dans le désert de mon coeur
Plus friable et poreux que le sable des heures.
Aimer hair chérir ou détester encore !
Avais-je des nervures mortes dans le corps ?
Dans ma bouche et ma tête brouillées de saveurs
S'insufflait sur un air de fête : - sot rêveur !
Ma douce folie fit défiler, souveraine,
Le rappel illusoire aux blessures pérennes,
Le chemin de cendre où consacrer mon remords
Se fermait par deux mots, d'ironie pure et mort.
Ténébreuse brassée des trop humains espoirs,
Je te brûlerai, riant des volutes noires !
Je suis un animal et n'ai pour nourriture
Que ce que je chasse à ma portée de pâture !
Mon langage mué en sanglot, qu'au large j'erre
Comme un démon muet loin des hommes vrais se terre...
Seul, jamais je ne le fus, en ce monde, ailleurs,
Sussurait la si sotte bête : - sot rêveur !
J'avais bâti un temple où trônait une reine.
L'alcool contait que la chaîne devienne rêne
Et s'étiole telle l'étoile au gré du jour,
Que la lueur si chère s'éteigne pour toujours,
Du beau corps de Claire me courbant en sa chair,
Au saint Graal de passion, au secret qu'elle éclaire.
Recourant au laudanum sensuel que procurent
Mètres de poètes et maîtres de peinture,
J'oublierai, infusé d'art en drogues sévères,
Châtré, puis moine, celle inspirant tous mes airs.
Ah ! Bel art de l'oubli qu'instille un alcool gai !
Brûlée la lettre et n'écrivant donc plus jamais...
J'allais me fuir, mais quand vinrent les sons berceurs...
Je compris qui scandait ma dette : - sot rêveur !
Écrit par jacou
L'art alchimique me tue, me transmute, me sublime. J'en renais plus fort, poétiquement. À suivre.
Catégorie : Amour
Publié le 11/05/2014
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merci très cher ami jacou, quel souffle et quel bel écrit empreint de tristesse et d'amour, merci grand poète... amicalement zeste |
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zeste |
Merci, très cher ami zeste, pour ton compliment qui toujours me va droit au coeur. Cordialement. |
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jacou |
c'est long mais bien! en général long comme ça moi personnellement j’abandonne mais là j'ai tout lu et j'ai aimé parfois je m'essouflais mais chaque fois une belle trouvaille arrivait. alors un bravo s'impose |
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pouete |
Merci beaucoup, cher pouete, pour l'effort accompli et pour l'appréciation amicale ! Bien à vous. |
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jacou |
Merci beaucoup, très cher jacou, pour ce très beau poème, qui décrit à merveille la difficulté d'écrire une lettre d'amour lorsque les mots ne viennent pas d'eux-mêmes, quand on ne sais s'il faut persister dans le lyrisme des premiers instants ou être plus réaliste. J'aime beaucoup le contraste entre l'aimée lointaine, au propre comme au figuré, image idéalisée qui par son éloignement devient si inaccessible qu'une déesse antique, et l'intimité de la pièce où le narrateur écrit. Les nombreux détails que vous donnez donnent un charmant réalisme à votre récit, réalisme duquel vous vous échappés grâce à l'alcool, qui semble faire un pont entre le royaume des mortels et celui des dieux, qui rapproche ou éloigne le narrateur de sa bien-aimée selon la force de sa volonté. Comme toujours, vos vers sont admirablement écrits. La forme relativement classique que vous avez choisie sied fort bien au sujet, et la fluidité qui en découle est renforcée par les allitérations. Bien à vous. Florent |
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Florent |
Je vous remercie, très cher Florent, pour l'estimation amicale et détaillée que vous donnez de mon poème. Cordialement. |
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jacou |
j'étais venu ce matin mais comme je devais faire la popotte je suis repartie tout doux... j'aimerai écrire ainsi ne jamais me perdre en route j'admire et vous dis bravo!!! | |
MARIE L. |
Merci beaucoup, MARIE L., pour le doux compliment. Je vous souhaite une bonne soirée de dimanche délivrée des tâches ménagères et consacrée au repos. :) | |
jacou |
de si beaux vers! merci poète inspiré | |
flipote |
Merci beaucoup, chère flipote, pour ton commentaire amical et expérimenté. Cordialement. |
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jacou |
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