Il est de beaux pays qui s'allongent en plaines
D'autres plus âpres qui escaladent le ciel
Certain domaine où luit ma rivière sereine
M'est promesse au vertige et je suis démentiel

J'aime ses hauts monts encadrant une vallée
Ses sentiers des flancs propices aux randonnées
Le vol des oiseaux fugueurs fuyant vers les cimes
Mon regard effrayé s'étendant vers l'abîme

L'à-pic ne vous prend que si vous le désirez
À perdre la raison au jeu démesuré
Qu'on joue dans la nuée, où le pas intimide
À ne savoir s'il débouchera dans le vide

Le cristal des eaux tinte au creux des jeunes roches
Des arbres s'égaient en accueillant nos approches
Nous enserrant puis nous couvrant, qui nous protègent
Au travers d'eux nous touchons aux premières neiges

Très loin en bas le lac étend sa pure eau grise
Comme un reflet divin, la leçon est apprise
L'homme n'a plus de part dans la beauté des choses
L'art en la nature est d'un sublime sans cause

Là-haut dans le ciel l'aigle à grand ramage noir
Passe et jette son jais aux teintes d'anciens soirs
Silencieux et vif il pourfend de vieux nuages
Attroupés comme des moutons aux attelages

Quand paraît le doux soir j'hésite à redescendre
Jusqu'ici ces doux cieux me couvraient de leurs cendres
Voici la "nuit fervente"* installant le vrai règne
Je la laisse embellir en jolie souveraine

(*Hölderlin célèbre la "fervente", la "Nuit" dans son ode "Pain et Vin", comme à même époque Novalis écrivait ses "Hymnes à la Nuit", tous deux ayant qui sait souvenir de la "nuit de l'âme" de Saint Jean de La Croix, frottés peut-être de la mystique rhénane, d'un Angélus Silésius ou de Maître Eckhart durant leurs études, ô jeunes poètes en détresse dans un siècle d'illuminés par les Lumières entre Rousseau et Lavater, Voltaire et Swedenborg...?)