Long poème en prose, c'est de la prose mais c'est quand même de la grande poésie.
Un matin, on est venu me dire : "Il est mort"
On m'a dit cela, et je n'ai pas entendu, car celui qui
parlait avait changé sa voix et son visage. La phrase était tombée
tout autrement qu'il ne l'avait prévu, sans qu'il y prît garde.
"Il est mort". Les mots dansaient dans mon oreille, mais
je ne songeais guère à leur donner un sens, ne pensant point même qu'ils en pussent avoir.
Cependant, peu à peu, comme vient une sueur, la nouvelle
me pénétrait. Je l'apprenais lentement, progressivement,
l'oubliant puis la réapprenant brusquement. Et elle était
comme une aiguille avalée, tout près du coeur, que dénonce le
moindre geste. Je songeai alors à celui que j'avais vu la veille
sur son lit de malade et je m'accusai de n'avoir pas compris
à ce moment-là.
Où était-il, alors, quand je te vis dans cette blanche salle
de clinique, où était cet esprit orné qui se plaisait aux
spéculations interminables, où était cette fantaisie qui fut comme la
fleur de serre de ton amertume, où étaient cette truculence et
ce cynisme puéril qui faisaient de toi le dernier des poètes maudits ?
Dans ce grand corps étendu, au visage ravagé par le mal, avec des lèvres
pareilles à un fruit meurtri ?
Avec un sourire épuisé, tu me tendis une longue main diaphane en
prononçant des mots que je n'entendis pas.
Ainsi je t'emportai. Ainsi tu habites nos mémoires. Tu ne vieilliras pas,
car les morts ont toujours le même âge. c'est là leur privilège.
Semblable à ces fleurs qu'on plonge dans une eau pétrifiante, ils ne se sont arrêtés de vivre que pour ne pas mourir.
Il s'agit de deux amis de vingt et dix-neuf ans.
Maurice Peronnet, Mai 1925.
(A cette époque, on mourait très facilement d'une appendicite.)
Écrit par flipote
Sans peur je balance en ligne Mes mots de mamie indigne.Bien pis ! je persiste et signe.
Catégorie : Citation
Publié le 02/05/2009
|
Poème Précédent | Poème Suivant |
Citation à découvrir... | Poèmes de flipote au hasard |
Annonces Google |
Un poème très touchant! Un bel hommage, pour un ami qui devait le mériter au vu de sa beauté! Bisous |
|
Dahlla |