Indéracinable.
Il fallait être couillon comme la lune pour avoir oublié la démence des jardins sauvages que tu as apportée au creux de ta main. On l'a plantée ensemble dans une sangle de terre aride sous un temps pluvieux et âpre. Nos années se mouraient. Je ne voulais pas que notre passé commun resurgisse, mais à voir les herbes sans nom percer la calade, j'ai ressenti ce besoin de rappeler au monde leur existence impertinente. Je me suis précipité là-haut, dans les pâturages des vents et je n'ai pas reconnu notre faible démence aux tiges chétives. Le matin débordait de gentianes, tout ce qui avait été jeté à l'oubli continuait à pousser vers le ciel. Les moments de bonheur, les élans et les abandons, c'est un verger qui a pris racine dans nos tympans, c'est ce chuintement qui retentit dans le silence.
Je l'ai vue par une fente, ma poésie sans toi. Elle sera sobre et encore plus montagnarde. Les gens du plateau diront : « C'est comme de l'eau pluviale, mais il y a quelque chose qui nous échappe. Les moutons remuent en sommeillant sur ces chants comme sur de la paille qui pique, à peine endormis, ils font des cauchemars. Avec certains mots, on est protégé comme dans une forêt épaisse aux faîtes crépus, là on se faufile en rase campagne, telles les fleurs de lin sous les grêlons. »
Personne ne veut de ces poèmes, mais ils sont tenaces. Bonastes. Je leur ai appris à aimer les montagnes et à se nourrir de peu, à rêver d'un rien.
* * *
La neige aura beau purifier ce paysage tant que nous sommes incapables de voir dans cette brume autre chose que les tuyaux d'usines. Moi, j'ai vu les javelles de cheveux d'ange, mais je ne l'ai dit à personne.
Je viendrai dans ta ville nouvelle. Est-ce que ça sent les varechs en janvier? Selon la vielle habitude, je choisirai une rue sinueuse et une maison aux volets, je dormirai sur les marches après avoir raclé le plâtre sur le palier pour que le proprio fasse enfin les réparations. C'est un petit rite pour ressusciter nos mistrals.
Je ne sais pas encore que tu as changé d'adresse.
– Je serais resté, mais mon chien était si triste... Tu sais, de retour dans les montagnes, j'ai aperçu qu'elles s'étaient tassées. C'est bien cette pente douce qui me verra vieillir ?
* * *
A l'époque des tyroliennes étendues entre les escarpements, je voulais savoir comment fonctionnait mon pays. Il est trop grand pour que je le connaisse à fond, à chaque rencontre on ne sait pas quoi dire l'un à l'autre. Comment revenir dans la société où les poètes qui écrivent « donne-moi ta main » - retirent la sienne ? J'ai mon troupeau, et les mots qui le forment gambadent dans les alpages sans se soucier de la méfiance qui avait baigné notre siècle. Dans vos rêves les plus sincères vous n'entendrez que leurs sonnailles lointaines.
- Je retire la main, parce que je ne saurai plus dormir de nuit, une fois entré dans ta vie.
- Alors ton sommeil calme élargit la garrigue autour de tous ceux que tu as privés d'une seule pensée.
Même quand les toiles se touchent, nous sommes plus riches, si quelqu'un prononce notre petit nom avant de s'endormir.
Écrit par eco-blanchiment
Nos années se lient.
Catégorie : Divers
Publié le 12/11/2011
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Superbes mots de fin ! Je ne suis pas un fan de prose poétique mais là je dois avouer que j'ai aimé ! | |
Jerem |
"J'ai mon troupeau et les mots qui le forment gambadent..." Je trouve cette expression très belle, très juste. Je trouve l'ensemble très harmonieux, les échos entre nature et écriture très bien construits. Ton texte me donne envie de retenter l'expérience d'écrits plus longs. Mais je sais que j'ai beaucoup de mal. Je me lasse. |
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Harmonie |
J'ai aimé cette lecture, je vais renouer avec la prose...joli texte et bien belle fin. | |
Ange de Lumière |
Je suis venue, j'ai vu, j'ai lu, sans être du moins, moindrement comme on dit au Canada, facilement, déçue j'arrête mes bêtises : je me suis ré ga lée merci ton écriture est unique |
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flipote |