Il m'a fallu penser que la souffrance ne pouvait toujours être repoussée hors de nous et attendre le prochain moment de faiblesse pour réapparaître. Si les nuits ne semblaient jamais s'achever, c'est sans doute que je croyais encore à l'idée d'un néant créateur qui pourrait tirer de mon insignifiance, de mon rapport difficile aux choses et aux autres, ainsi qu'à moi-même, une sorte de réponse à demi-révélée à mon trouble et mon effroi. J'avais pourtant la conviction que les silences prégnants n'étaient pas tous les miens, qu'il y avait là quelque chose qui n'osait pas se dire, mais que je pouvais percevoir, ressentir, avec une conviction égale à celle avec laquelle je vois et reconnais les choses ; malheureusement, je ne pouvais que constater, je ne pouvais qu'éprouver cette conviction. Cette déchirure que je pensais être au cœur des choses, par un savoir que je tenais de l'enfance, j'ai appris à l'étreindre avec autant de force qu'elle-même savait déployer en moi et autour de moi pour creuser encore plus grand la faille. Je savais déjà par le passé la tristesse et l'amertume ; j'appris à les utiliser pour faire le pont entre les choses et moi, et j'avais conscience de tout le monde qui y traversait : la solitude fut immense. Seulement je ne pouvais ignorer les pulsions violentes qui secouaient parfois mon torse, le phénomène physique de mon échec d'intégration au monde ; en cela pour cause non pas la solitude, que j'ai appris à aimer, non pas la nuit, que j'ai appris à craindre avec déférence, mais comme le vent qui secouait le bois et les cordes suspendus, le besoin d'appartenir à quelque chose au dehors. Il me fallait embrasser et tenir dans mes bras l'horizon, la douce présence d'un arbre, il me fallait sentir près de moi le parfum d'un autre, toucher une peau étrangère, voir, voir comme on voit au premier jour, avec autant de sagesse qu'au dernier jour, voir toute chose comme si je n'étais plus que la conscience de cette chose, et m'abandonner auprès des autres comme le soleil, le soir, abandonne sa lumière : je voulais m'abandonner dans cet amour déversé, comme une chute éternellement renouvelée. Il me fallait vivre, et je ne portais en mon cœur que la mort accumulée chaque jour et chaque nuit – et dont le vent est chargé.
Écrit par Poesie nocturne
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Catégorie : Triste
Publié le 24/02/2017
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C'est un très beau texte, profond, dans une veine romantique, où la solitude et l'altérité se présentent comme deux facettes affrontées d'un même désir. | |
jacou |
Maître Jacou m'a devancé, j'allais employer le même terme "profond". Bel écrit. | |
suane |
D’une grande intensité, j'aime... à suivre peut-être ? | |
lefebvre |
Il ne faut pas t'abandonner par inconscience sans prendre le temps d'analyser la vie. | |
eric |
j'abhorre la raison et l'analyse ; mon abandon n'est pas celui d'un inconscient, mais d'un surplus de conscience, d'un débordement. merci à vous tous, jacou (vos commentaires touchent souvent justes), suane, lefebvre (oui sûrement à suivre) et eric |
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Poesie nocturne |
J'aime beaucoup la deuxième partie, cet amour pour ces choses auxquelles personne ne fait attention et qui sont toute une vie. Superbe ! | |
Eleidora |
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