Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j'ai cru trouver un pays.

Coeur léger coeur changeant coeur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes nuits
Que faut-il faire de mes jours
Je n'avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m'endormais comme le bruit.

C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent

Dans le quartier Hohenzollern
Entre La Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un coeur d'hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m'allonger près d'elle
Dans les hoquets du pianola.

Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke.

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.

Elle était brune elle était blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence
Elle travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n'en est jamais revenu.

Il est d'autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t'en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton coeur
Un dragon plongea son couteau

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.

§§§

Louis Aragon

Si souvent mis en chanson par Ferré, Lavilliers, Catherine Lara ...
http://www.lalapassion.fr/popup/unevoixpourferre-estceainsi.html

Écrit par Nighty
Une plaie a besoin d'être "pensée".
http://www.edilivre.com/doc/19576/Soupirs-de-Lune_Une-plaie-a-besoin-d-etre-«-pensee-»/J-D-Nigthy
Catégorie : Citation
Publié le 17/10/2011
Ce texte est la propriété de son auteur. Vous n'avez en aucun cas le droit de le reproduire ou de l'utiliser de quelque manière que ce soit sans un accord écrit préalable de son auteur.
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Commentaires
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Posté le 17/10/2011 à 15:22:34
très impressionné par cette construction poétique, sublime écrit de haut rang Ferré aurait aimé le talent des autres me rend humble, je vous offre madame mon humilité belle journée !
yannis
Posté le 17/10/2011 à 17:44:29
et Jean Ferrat aussi avez-vous les yeux d'Elsa ? je le pense un gris pâle indéfinissable comme un doux matin automnal une poétesse qui aime Aragon ne peut-être qu'une femme de goût merci de ce choix bonne soirée.
yannis
Posté le 17/10/2011 à 17:51:46
Un très beau texte d'Aragon

un peu sur le même thème:

La muse vénale (Baudelaire)

0 muse de mon c?ur, amante des palais,
Auras-tu, quand Janvier lâchera ses Borées,
Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées,
Un tison pour chauffer tes deux pieds violets?
Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées
Aux nocturnes rayons qui bercent les volets?
Sentant ta bourse à sec autant que ton palais,
Récolteras-tu l'or des voûtes azurées?
Il te faut, pour gagner ton pain chaque soir,
Comme un enfant de ch?ur, jouer de l'encensoir,
Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère,
Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appas
Et ton rire trempé de pleurs qu'on ne voit pas,
Pour faire épanouir la rate du vulgaire.

et un lien: Lavillier http://youtu.be/w0gwrc_Bqyg

encore un baudelaire:

Une nuit que j'étais près d'une affreuse Juive,
Comme au long d'un cadavre un cadavre étendu,
Je me pris à songer près de ce corps vendu
A la triste beauté dont mon désir se prive.
Je me représentai sa majesté native,
Son regard de vigueur et de grâces armé,
Ses cheveux qui lui font un casque parfumé,
Et dont le souvenir pour l'amour me ravive.

Car j'eusse avec ferveur baisé ton noble corps,
Et depuis tes pieds frais jusqu'à tes noires tresses
Déroulé le trésor des profondes caresses,

Si, quelque soir, d'un pleur obtenu sans effort
Tu pouvais seulement, ô reine des cruelles!
Obscurcir la splendeur de tes froides prunelles.

Et un de mes préférés:

Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux:
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint;

Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rhythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s'affaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un oeil fâché,
Épiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion!

Oui! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés!
hysard
Posté le 17/10/2011 à 18:57:58
Merci pour cette relecture Nighty.
Margot de Broceliande
Posté le 17/10/2011 à 19:48:01
j'empiète, excuse mon emportement lol !

bises,
hysard
Posté le 17/10/2011 à 19:54:44
magnifique poème d'Aragon ! merci Nighty
lo
Posté le 17/10/2011 à 20:00:58
Coucou tous !
Et cette version chantée, qu'en pensez-vous ?

Hysard, lol ! Quand j'ai vu la longueur du commentaire, j'ai tout de suite deviné que c'était toi. Merci de ta réplique. Le dernier (de qui est-il ?) me fait penser à Villon.

Je n'ai pas les yeux d'Elsa, yannis, mais ma mère les avaient. Peut-être est-ce leur reflet que vous avez deviné en moi ?

Bises à tous !
Nighty
Posté le 17/10/2011 à 20:06:35
Baudelaire ( je me suis replongé dans ses oeuvres depuis quelques jours), il s'agit de "charogne", j'ai été mort de rire en le lisant !
hysard
Posté le 17/10/2011 à 20:11:36
Je n'avais pas vu ton lien vers Bernard qui reste mon amour de jeunesse. Merci Hysard. Tu es un pilier indispensable à ce site pour tout ce que tu y apportes. Merci ...
Nighty
Posté le 17/10/2011 à 20:27:29
peut-être est-ce leur reflet si c'était le cas je m'incline vers elle Aragon fait partie de ma vie.
yannis
Posté le 17/10/2011 à 21:16:29
Nighty bonsoir,

Cette version chantée je l'aime, tout comme le poème, Aragon fait aussi partie de ma vie, c'est une bien belle idée que de nous le faire partager ce texte.

Bises
Ange de Lumière
Posté le 17/10/2011 à 21:53:04
Très beau texte où les hommes sont mis à l'épreuve.
eric
Posté le 18/10/2011 à 14:30:09
Merci Nighty pour ces profondes pensées d'Aragon des hommes patagés entre la vie et le temps merveilleux choix ! de toi et d'hysard !

Bisous

Ce commentaire est de yubanca
Commentaires
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