Récit d'Anne-Tarzane.

Hello, tout le monde ! Je suis en ce moment dans la hutte, confortablement installée à ce qui pourrait éventuellement s'appeler une table de travail si, dans la jungle, on avait la grotesque incorrection de travailler. Mes deux cousins uniques et préférés sont partis à la pêche, taquiner le piranha tacheté. Je me demande tout de même laquelle des deux équipes se montrera la plus taquine : le tandem de choc formé par Alain-Tarzan et Andy-Mowgli ou la brigade à nageoires des teigneux piranhas. Je m'amuserai à faire quelques pronostics à ce sujet quand j'aurai terminé ma grille de mots croisés, tiens !

Trois vertical, commence par E et finit par R : raseur à syllabe redoublée, en 12 lettres… C'est un raseur qui bégaie ??

Toc-toc ! Qui est-ce qui frappe à la hutte ? Encore un enquiquineur… Yesssss ! Raseur à syllabe redoublée en 12 lettres, c'est enquiquineur, merci, M'sieur… ou Madame…

Toc-toc !

Mais c'est qu'il insiste ! Bon, ça va, vous pouvez vous en aller, j'ai trouvé la définition, j'ai plus besoin de vous.

Toc-toc, boum-boum ! Mais on dirait bien que lui, il a besoin de moi. Je vais finir par croire que je suis vraiment indispensable. D'ailleurs, je n'ai jamais réussi à me faire dispenser des cours de parthénogénèse fougèricole et d'éthologie des cynocéphales, à la fac de la jungle.

J'ouvre la porte de la hutte, et je m'aperçois que mon visiteur… est un tigre. Vous faites quoi, vous, quand un tigre frappe à votre porte ? Moi, je lui dis « Bonjour, Monsieur le tigre ! », d'abord parce que je suis polie, et ensuite, pour lui montrer que je l'ai reconnu.

« Princesse Anne-Tarzane, aidez-moi, feule-t-il, vous seule pouvez me sauver !

- Et… en quoi puis-je vous être utile, mon bon monsieur ?

- Avez-vous vu le film « Le magicien d'Oz » ?

- Je suis allée le voir avec mes cousins au ciné-club de la savane. C'est amusant, le cinéma des primitifs trop habillés. Et alors ?

- Vous vous souvenez de ce lion couard, qui cherchait désespérément le moyen d'avoir un peu de courage ?

- Je m'en souviens bien, pauvre bête, j'étais prise de pitié pour ce malheureux lion. Eh bien ?

- Eh bien, il m'arrive exactement la même chose.

- Non, attendez, il ne peut pas vous arriver exactement la même chose. Vous êtes un tigre, pas un lion.

- Oui, mais je suis un tigre trouillard, c'est pareil.

- Bah non, un lion et un tigre, même trouillards tous les deux, c'est pas pareil.

- Reconnaissez, princesse, qu'on peut y voir tout de même une certaine analogie…

- Oui, une analogie, une contigüité, mais pas de réelle similitude.

- Pourtant, Otto Von Rhinokross dans son essai « L'autre et moi-même » affirme que… Bon, soit, je ne suis pas venu vous voir pour parler philosophie.

- Je m'en doute un peu, je parle rarement philo avec les tigres, ils sont en général plutôt intéressés par la sociologie. Donc, vous êtes un tigre trouillard, c'est intéressant, dites-moi !

- Non, ce n'est pas intéressant, c'est dramatique ! J'ai peur de tout : de l'ombre d'une musaraigne, de l'ombre d'un caillou, de mon reflet dans l'eau… C'est l'enfer !

- Allons, mon cher tigre, ce n'est sûrement pas si dramatique que ça. J'ai connu un gars, chez les primitifs trop habillés, qui avait lui aussi peur de son ombre. Il avait même peur de l'ombre de son ombre, de l'ombre de sa main, de l'ombre de son chien…

- Et comment a-t-il terminé ?

- Il a vendu l'ombre de son pékinois à un montreur d'ombres chinoises, il s'est fait greffer un crochet de pirate à la place de la main, et il est devenu vampire pour ne plus avoir d'ombre. Euh, oui, finalement, vous avez raison, Monsieur Tigre, c'est dramatique.

- Avec tout le respect que je vous dois, princesse, elle est idiote, votre histoire.

- Oui, je sais, mais c'est pour détendre l'atmosphère.

- Quoi qu'il en soit, on connaît votre réputation et celle de vos deux cousins. Vous êtes les héros de la jungle, vous êtes réputés n'avoir peur de rien…

- Pas même du ridicule, c'est notre slogan.

- J'ai donc pensé que vous pourriez donner quelques leçons de courage à un pauvre tigre froussard et mollasson. »

Je réfléchis… Il est sympathique, ce tigre, je vais essayer de lui apporter mon aide, on verra. Mes deux cousins machos ne sont pas là, je vais donc prendre l'affaire en main toute seule comme une grande.

Et justement, l'occasion se présente : sa majesté Simba premier le lion, roi des animaux et prince des esbroufeurs, parade à l'ombre des hévéas.

« Vous avez vu, Monsieur Tigre, Simba premier est là…

- Oui, princesse, c'est… c'est l'un des animaux de la jungle qui m'intimident le plus.

- Parfait ! Vous allez l'aborder et commencer une conversation… »

Le tigre blêmit :

« Moi ? Mais qu'est-ce que je vais lui dire ?

- N'importe quoi, mon cher tigre ! Demandez-lui l'heure, par exemple !

- Mais pourquoi faire ?

- Le but n'est rien. Ce qui compte, c'est la prouesse elle-même. Allez, vas-y, coco ! » (J'assure plutôt pas mal, comme coach.)

Et le pauvre tigre s'approche du vaniteux lion…

« B… Bonjour, Sire ! Excusez-moi, vous auriez l'heure ? »

Simba premier rugit rageusement :

« Y a pas écrit horloge qui cause sur ma crinière, eh, pignouf ! »

Et le tigre, relégué au rang de petit chaton apeuré, revient vers moi la queue entre les jambes.

« On va essayer autre chose, lui dis-je. Une bonne bagarre made in Jungle, ça, c'est excellent ! Vous voyez le gavial qui se prélasse dans la rivière ?

- Le crocodile à long museau, là ?

- Lui-même, cher ami félin. Allez lui dire que si son nez avait été plus court, la face de la jungle en eût été changée.

- Beuh… C'est que… il risque de ne pas apprécier.

- Il risque fort, en effet ! Hop, le tigre, on y va ! »

Visiblement à contrecoeur, le tigre se dirige vers le gavial, je l'entends murmurer vaguement, puis j'entends le croco lui répondre à voix haute et forte :

« Ah non, c'est un peu court, jeune homme ! »

Je m'attends à un début de tirade en alexandrins à la Saurieno de Bergeflasque, mais le gavial ne perd pas de temps à épiloguer : il mord sauvagement la queue du tigre, qui accourt vers moi en grimaçant de douleur.

« Merci de vos tentatives pour m'aider, princesse, mais je m'aperçois bien à présent que je ne serai jamais rien d'autre qu'un tigre de papier et de tissu, une peluche amorphe, sans courage, sans combativité… »

Le tigre a l'air résigné, et pourtant, je suis sûre qu'on peut trouver une solution, pour que ce bel animal devienne un vrai fauve. Bel animal, j'ai dit ??? Mais oui, youpihouuuu, la voilà, la solution !

« Vous savez, mon cher tigre, j'aime beaucoup votre pelage rayé…

- Ah oui ?

- Oui, d'ailleurs, vous faites bien de porter les rayures dans ce sens-là : ça amincit ! »

Le tigre fait un violent demi-tour face à moi, et roule des yeux furibards :

« Cela sous-entendrait-il que je suis gros ? dit-il en bondissant. Fais tes prières, insolente bipède !

- Et toi, compte tes rayures, future descente de lit ! »

Mesdames et Messieurs, bonsoir, ici Coco le cacatoès de la jungle. Je reprends le récit, parce qu'en ce moment, Anne-Tarzane est trop occupée pour raconter. Le tigre vient de lui balancer un direct du gauche bien appliqué. Anne-Tarzane riposte par une droite bien entraînée. Un nuage de poussière et de fumée les recouvre, poings, pieds et pattes se mêlent, quelle bagarre ! Monkape le singe, grand ami d'Anne-Tarzane, saute de son arbre et se jette dans la bataille pour aider la belle amazone. Quel match sensationnel, Mesdames et Messieurs, les adversaires reculent les limites de la fougue et de la vaillance. GONG, fin du match, les trois antagonistes sont à moitié sonnés. Je repasse la parole à Anne-Tarzane.

Ici Anne-Tarzane… C'est joli, ces petites étoiles qui s'agitent autour de nous… Le tigre revient à lui, tout doucement et ouvre de grands yeux étonnés :

« Hé, dites-moi, princesse Anne-Tarzane… Je me suis battu ?!

- Ah oui, on dirait bien !

- Mais alors, je ne suis pas un tigre de chiffons ! Je suis un vrai fauve pugnace !

- Mais naturellement, vous avez un vrai tigre dans votre moteur, je l'ai toujours su !

- Merci, princesse, je n'oublierai jamais ce que vous avez fait pour moi. Tiens, voilà le lion Simba premier… Hey, faux monarque, tu veux que je t'apprenne à lire l'heure ?! »

Pendant que le tigre se dirige vers de nouveaux exploits, je me tourne vers mon pote Monkape le singe :

« Comment trouves-tu ce tigre, Monky ? Il est cool, non ?

- Je trouve aussi, Anne-Tarzane, et il a un pelage superbe. C'est vrai que les rayures amincissent. Tu n'as jamais pensé à acheter une robe en peau tigrée ?

- Dis donc, le quadrumane, ça veut dire que j'ai grossi ? »

Etc, etc…