Au fond de mon ventre, j'ai une pieuvre qui veut pas parler parce qu'est timide. A se nomme Ann-Phare pis c'est la gardienne de mes entrailles. Lorsque je suis seul, enivré par l'oublie, je plonge dans mon ventre comme on plonge dans une piscine. Y faut seulement faire attention de ne pas se casser le cou en y plongeant, parce que s'noyer dans son intérieur, c'est pas très winner. J'nage donc seul dans un étendu au fond peinturé d'étoiles de mer. J'ai l'impression de rêver, d'être libre dans ce fond couleur silence. Quand je suis pas là, j'suis sur la lune en train de décapsuler les étoiles. J'l'ai décapsule pis j'me soûle de leurs effervescences. Entre ciel et mer, j'm'abandonne sur un navire qui chambranle sur l'océan de la déraison. J'nage à m'en perdre dans un océan sourd et noir dont les vagues denses dansent autour de mon être. C'est dans le ventre d'Ann-Phare qu'habituellement je peux crier. Car personne ne peut m'entendre, car j'peux me tuer à l'appeler. Ça lui fait rien, A fait juste rire, parce qu'A l'aime ça qu'on crie dans son ventre. Quand A rit pas, est calme, pis son calme m'enrage.
Quand j'suis pas dans l'eau, j'suis sur le bateau, j'm'abandonne à la déraison en attendant d'arriver sur l'île. Les cartes que j'ai dessinées m'indiquent que je devrais arriver au mortuaire dans quelques années.
Larguez les amarres! À bâbords! À tribords!
Ann-Phare rit de moi lorsque je dis ces mots. Elle croit que tout est un jeu. Je ris avec elle, en continuant de crier des ordres. On joue pendant des heures pis quand on est tannés, on change de jeu. Elle fait frémir mon bateau pis j'dois rester le plus longtemps possible sur le bois mouillé. Lorsque je tombe, elle se met de nouveau à rire. Pis on recommence jusqu'à temps qu'on soit épuisés. On trouve toujours quelque chose d'autre, car au fond de nous, on a tous les deux peurs.
Depuis quelque temps, Ann-Phare s'gonfle de ma pourriture en pensant retrouver mon volatile. Lorsqu'es près de moi, elle rapetisse, comme si A l'avait trouvé quelqu'un sur qui A pourrait compter. Lorsque je suis seul, A grandit tranquillement en se nourrissant de mes membres internes. Lentement, Ann-Phare avale tout de moi, de ma passion jusqu'à ma raison. J'ai pas mal, ça me fais plutôt du bien de penser que je vais bientôt partir.
Dans mon bateau, j'ai des millions de livres. À eux seuls, ils forment la carcasse de mon navire. J'ose pas les lire, parce que j'aime pas m'incruster en eux. C'est une règle de politesse. J'aimerais pas que ces livres entrent en moi sans permission, qu'on se permette de fouiller en moi en lisant le résumé de mon histoire, en raturant, en déchirant les coins de page. Je lance à la mer des messages en ayant peur qu'on les retrouvent, qu'on les affichent comme des papillons piqués dans un bocal trop grand. J'ai peur d'être lu, d'être admiré, mais cette peur crée mon quotidien et je ne peux m'empêcher de ne pas confronter cette angoisse qui m'exaspère. Toutes les nuits, je ne fais que penser. Je pense au jour de mon départ. Ann-Phare est prête, elle me l'a dis. Ça ne lui déplaît pas trop, elle s'en fiche je crois. Elle trouvera sans doute quelqu'un d'autre. Car les pieuvres sont trop indépendantes pour rester accroché à quelqu'un. Elles finissent toujours par s'attacher à une nouvelle personne. Moi, je ne suis incapable de jouer à ce jeu, ça me tue de l'intérieur.
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Écrit par Chant de Plume
Tu es un autre moi.
Catégorie : Divers
Publié le 18/01/2013
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